En attendant l’adoption ou non du projet de loi de Finances 2019, qui prévoit une possible augmentation du prix de la bière, les acteurs du secteur redoutent les conséquences néfastes qui tueraient à petit feu la filière.
La nouvelle fait la Une des journaux depuis la semaine dernière : la probable augmentation du prix de la bière sur le marché camerounais. Dans un forum whatsapp professionnel, un membre s’est interrogé en ces termes : « Si ça avait été le riz, les journaux auraient-ils parlé de la même manière, avec cette emphase ? ». Et un membre du forum de rétorquer : « Les Camerounais sont des buveurs, d’où l’intérêt de ce sujet sur la bière. On s’en fout du riz». Ce qui a fait marrer les membres du groupe. A l’évidence, si le football qui est devenu l’opium du peuple au Cameroun, la bière elle est devenue cette religion pratiquée par tous ou presque, même par les adolescents les plus insoupçonnés. Dimanche, en fin de matinée, dans un deux-zéro (club de foot du dimanche), au quartier Elig Effa à Yaoundé, les commentaires avaient pour seul centre d’intérêt l’augmentation du prix de la bière. « On ne va plus boire », « C’est devenu quoi dans ce pays », « on va même marcher pour dénoncer ça », entendait-on ci et là. Le mal est plus profond que cela. Lorsqu’on entend d’autres encore dire, « le kitoko (whisky conditionné dans des sachets) est fini sur le marché ? On va boire ça », ou d’autres qui disent opter dorénavant pour les boissons importées.
Abattement de 20%
La colère des consommateurs de bières part du fait que dans le projet de loi de Finances 2019, déposé à l’Assemblée nationale la semaine dernière, il y est prévu une modification sur la gestion du droit d’accise, concernant les boissons alcoolisées à hauteur de 5,5% et moins. Dans la loi de finances 2018, il avait été instauré un abattement de 20% sur le prix qui sert de base au calcul du droit d’accise sur ces produits. Or, dans le projet de loi actuel, il est prévu de réduire cet abattement de moitié, soit seulement 10%. Par ailleurs, le gouvernement prévoit aussi d’instaurer un droit d’accise spécifique sur les emballages des bières et des boissons gazeuses, pour un montant de 15 Fcfa par emballage. Avec toutes ces mesures, la conséquence serait inéluctable. Une augmentation de 100 Fcfa, voire 200, sur le prix de chaque bouteille de bière. Suffisant pour provoquer l’ire des tenanciers de débits de boissons.
Vers une Can 2019 sans bars
Jacques Nwanbang, tenancier de débit de boisson ne comprend pas pourquoi, c’est toujours ce secteur qui doit payer le lourd tribut de la volonté de l’Etat d’élargir son assiette fiscale. « Chaque fois qu’on réfléchit comment on va gérer les problèmes financiers, la seule réflexion est tournée directement vers la bière, vers l’augmentation du prix de la bière. Nous avons les quincailleries, les boulangeries, nous avons d’autres pans de l’administration où on peut véritablement réfléchir sur une augmentation quelconque. Nous avons la douane, nous avons le pétrole. Mais chez nous les tenanciers de débit de boissons, c’est une augmentation de trop. Nous ne sommes pas d’accord avec cette augmentation ». Celui qui est par ailleurs syndicaliste, appelle les députés à bien réfléchir sur ce projet avant de prendre leur décision. Car, craint-il, « le pouvoir d’achat est très faible ».
Pour l’heure, les barmen et patrons de débits de boissons sont clairs. Si le projet de loi soumis à la représentation nationale venait à être adopté et qu’il y ait augmentation du prix de la bière, deux attitudes resteront à adopter : Augmenter le prix à la consommation finale ou fermer boutique. La deuxième option, selon eux, qui serait un désastre pour le Cameroun. Car, 2019 est une année particulière au Cameroun, avec l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football masculin. « Que serait une Can au Cameroun sans snack, sans bars. Alors qu’on s’attendait à des mesures visant à récompenser les Camerounais qui ont porté leur choix sur Paul Biya aux dernières élections, on se retrouve plutôt avec des mesures de nature à soulever le peuple », fulmine un barman.
D.D. avec Le Messager
Me Roger Tapa : « Le Gouvernement veut tuer ce secteur d’activités »
Le président du Syndicat national des exploitants de débits de boissons du Cameroun exprime son indignation vis-à-vis du projet de loi de Finances 2019 qui prévoit une possible augmentation du prix de la bouteille de bière dès janvier prochain.
Comment avez-vous accueilli le projet de loi de Finances 2019 qui prévoit des mesures visant à augmenter le prix de la bière dès l’année prochaine ?
C’est une réaction d’indignation, de surprise, pour la simple raison que l’on s’attendait au contraire. Surtout au lendemain de la grande opération électorale qui s’est déroulée dans de bonnes conditions. En fait, il y a seulement trois ans, prétextant la loi de finances 2016, il y a eu augmentation des droits d’accise. Et cette augmentation a eu pour conséquence directe l’augmentation des prix des boissons. Aujourd’hui, trois ans après, on revient avec la même rengaine, on augmente de 10% les droits d’accise et on veut les faire répercuter sur les prix. Nous avons comme impression qu’à chaque moment où il y a des problèmes, que des problèmes de budget se posent au Cameroun, on pense seulement au secteur des boissons. Or, il y a d’autres secteurs d’activités. Il y a la téléphonie, il y a le bois, etc. C’est comme si toute la souffrance des Camerounais doit être réglée par ce seul secteur d’activités qui est déjà asphyxié. Imaginez-vous que sur une bouteille de bière, l’Etat a pratiquement 300 Fcfa de taxes, et autres. Ce secteur d’activités ne peut plus à lui seul suffire pour résoudre tous les problèmes du Cameroun. C’est ce qui nous indigne.
Ça n’a pas empêché les Camerounais de continuer à boire…
Le problème, ce n’est pas d’aller dans les bars. Le problème qui se pose, c’est que les Camerounais vont continuer à boire, mais que vont-il continuer à boire ? Et quelle sera la marge bénéficiaire ? Parce que c’est un secteur d’activité qui doit nourrir son homme. Nous sommes des parents, nous sommes des hommes d’affaires. Ça diminue complètement notre marge bénéficiaire, ça l’annule même carrément. Est-ce que vous pouvez continuer à faire un business sans bénéfice ? Les Camerounais vont continuer à boire de l’odontol, le kitoko et autres, et seulement venir après dans les débits de boissons s’asseoir pour prendre une seule bière parce que c’est tout ce qu’ils peuvent s’offrir. Avec des conséquences sur le plan sanitaire, sur le plan de la santé publique. Je ne sais si ceux qui veulent augmenter les prix des boissons, tiennent compte de cet aspect. Parce que c’est bien beau que l’Etat récolte des milliards, mais est ce que ces milliards peuvent suffire à régler le problème de santé publique qui va exister derrière cette augmentation ? Je dis non. Non pour la simple raison que les Camerounais sont des adultes et réfléchissent assez pour savoir ce dont ils ont besoin, ce qu’ils veulent consommer. Si certains soulignent que l’Etat veut ainsi lutter contre la consommation excessive de l’alcool, ceux qui boivent ce sont des adultes. Vous ne pouvez pas leur imposer cela. Si vous voulez les empêcher de boire en augmentant les prix, ils vont se rabattre sur les produits que je venais de citer. Donc, il faut une réflexion en aval comme en amont, en l’espèce, ce travail n’a pas encore été fait. Il est encore temps, le gouvernement doit réfléchir par deux fois avant que cette mesure soit adoptée.
Que ferez-vous en cas d’adoption et de promulgation de la loi ?
Si le gouvernement décide d’augmenter les prix, c’est-à-dire annuler notre marge bénéficiaire, ça veut dire qu’il est en train de tuer ce secteur d’activités. Et nous ne pouvons pas le laisser mourir parce que nous y avons investi de gros moyens. Nous allons nous réunir pour voir quels est l’alternative que nous pouvons apporter au gouvernement. Par exemple, si le gouvernement décide d’augmenter de 100 francs, nous serons obligés d’augmenter aussi 100 francs, ça va faire 200. La bière reviendra à 800 francs, avec la conséquence que les propriétaires de débits de boissons deviendront insolvables. Ils ne pourront plus payer leurs impôts et taxes. Ils ne pourront plus payer leurs charges. Pour une activité comme celle-là qui apporte un tiers au budget du Cameroun, je ne pense pas que le gouvernement puisse s’amuser. Si on se rend compte à la dernière minute que rien n’est fait, on fermera.
Pouvez-vous estimer le manque à gagner avec cette situation de la hausse des prix ?
Il y aura une perte sèche de 20 milliards Fcfa, qui n’aura pas de répercutions seulement sur les tenanciers de débit de boissons, mais aussi sur les caisses de l’Etat. Il y a des gens qui tournent avec cinq casiers par jour. En cas d’augmentation des prix, ils vont tourner avec trois casiers au lieu de cinq. Ça veut dire qu’ils ne peuvent plus supporter leurs charges. Ils vont fermer, et c’est l’Etat qui va perdre les impôts. C’est le propriétaire du local qui n’aura plus son loyer, les employés seront à la rue. Ce secteur ne peut pas encaisser la charge que l’Etat veut lui imposer à l’heure actuelle. Je profite pour dire aux députés, les sénateurs à qui revient la charge de confirmer ou d’infirmer ces mesures, que vous avez intérêt à regarder dans la même direction que le peuple. Avec l’année électorale qui arrive, je voudrais interpeller les parlementaires sur ce qui risque se passer. Nous serons dans une année Can. Est-ce qu’il peut avoir Can sans débits de boissons?
Source Le Messager