Cela fait 4 jours que deux journalistes ont été interpellés à Douala au même moment qu’une centaine d’autres Camerounais, dans le cadre d’une vague d’arrestations commanditée depuis la capitale politique du Cameroun. Ils ont depuis lors été transférés en toute discrétion à Yaoundé, où après deux jours de recherches, la corporation les a retrouvés au Groupement spécial d’opération (Gso). Depuis lors, aucune communication officielle n’est faite sur ces arrestations. Le 26 janvier 2019 pourtant, après une journée marquée par des marches réprimées dans certaines villes du pays, le ministre de la Communication René Emmanuel Sadi avait dressé un bilan des arrestations dans la journée au cours d’une conférence de presse.
L’on avait alors pensé que le gouvernement était soucieux de tenir le pays informé de cette situation sociopolitique, tout le monde étant intéressé de savoir quelle est l’évolution de ces évènements qui ont irréversiblement un impact sur l’avenir du pays. Mais le mystère reste entier et entretenu sur les opérations menées en début de semaine. Sans doute parce qu’il y a des choses à cacher, ou que des choses que le gouvernement ne peut expliquer à cause du caractère arbitraire qui entoure ces agissement. Le cas des deux journalistes par exemple. Après 3 jours de détention, le pouvoir ne peut ignorer leur identité précise et les raisons pour lesquelles ils se trouvaient chez Albert Nzongang ce lundi soir.
Le journaliste
D’après l’article 2 du décret 2002/2170/Pm du 09 décembre 2002 signé par le premier ministre d’alors Peter Mafany Mussongue, est considéré comme journaliste , « toute personne qui sur la base de ses facultés intellectuelles, de sa formation ou de ses talents, a pour occupation principale et rétribuée, des tâches effectives de rédaction, de reportage, de collecte et de traitement de l’information pour le compte d’un ou de plusieurs supports médiatiques. » Il est reconnu que les deux journalistes, Théodore Tchopa et David Eyengue Nzima sont régulièrement employés au journal Le jour, et sont par ailleurs membres de plusieurs associations corporatistes comme le Syndicat national des journalistes du Cameroun ou l’association des journalistes sportifs du Cameroun.
De plus, au regard de l’article 47 de la loi de 90 sur la communication sociale, le journaliste est tenu de traiter l’information avec objectivité et responsabilité. Et pour mieux se conformer à cette exigence, il doit être sur le terrain des évènements, au cœur de l’actualité, et c’est ce que Théodore Tchopa et David Eyengue Nzima faisait ce 29 janvier au soir chez Albert Nzongang, il ne faisait que leur travail.
Conditions illégales de garde à vue
Les personnes interpellées ce 29 janvier sont accusées d’avoir participé aux marches blanches interdites pour certains et de les avoirs organisés pour d’autres. Si c’est le vrai motif derrière ces opérations, que font encore les journalistes entre les mains de la police ? On peut comprendre que les arrestations de ce soir-là ont été faites dans des conditions de rafles, mais une fois identifiés, ceux qui n’ont rien à voir avec les motifs des rafles ne devraient-ils pas être remis en liberté, dans un pays dit de libertés ?
D’après le chargé de la communication et des alertes, de la section régionale du Syndicat national des journalistes du Cameroun pour le Centre, une délégation de ce syndicat s’est rendue hier 31 janvier 2019 au Groupement Spécial d’Opération à Mvan, pour s’enquérir de la situation de détention des 02 journalistes. Mais ils n’ont pas pu les voir, l’accès étant interdit à toute personne, notamment aux syndicats, d’après les consignes. Ainsi, les journalistes ne peuvent recevoir de visite, une fois de plus en violation de la règlementation qui encadre la garde à vue. L’article 122 alinéa 3 du Code de procédure pénal stipule en effet que « la personne gardée à vue peut, à tout moment, recevoir aux heures ouvrables la visite de son avocat et celle d’un membre de sa famille, ou de toute autre personne pouvant suivre son traitement durant la garde à vue. »
Persona non grata sur lieux des exactions
En plus, à ce jour, les deux journalistes ne savent pas toujours pourquoi ils sont gardés, alors que le même article dit à l’alinéa 1 qu’en cas de garde à vue, « Le suspect doit être immédiatement informé des faits qui lui sont reprochés et doit être traité matériellement et moralement avec humanité. » Un jour une enquête indépendante dira si les conditions de détention de tous ces interpellées sont humaines. Au-delà des violations des droits humains avec ces arrestations et incarcérations, le pouvoir est en train de mettre à son palmarès d’autres cas de violation de la liberté de la presse et surtout d’entrave à la libre exercice de sa profession, pourtant consignée dans le préambule de la Constitution.
Que peut-on reprocher en effet à des journalistes, identifiés et connus comme tels et qui se trouvaient en situation professionnelle ? Quand les forces de l’ordre font l’exploit d’appréhender un gang de malfaiteurs, ils sont ravis de voir les journalistes sur place pour rendre compte. Parce qu’ils savent que ce sont des actes louables. Quand les gouvernants veulent inaugurer des ponts, offrir des dons, porter des médailles, organiser des meetings de remerciement au président de la République, le journaliste est sollicité, quand il tarde à venir ils l’appellent, l’événement ne commencera pas sans lui. Mais quand ils veulent arrêter des hommes politiques et des participants à une marche, le journaliste devient persona non grata, et se trouver sur les lieux est un crime qui lui vaut arrestation, déportation et détention, même au mépris de la loi qu’on prétend défendre.
Roland TSAPI