Le cri de détresse de l’épiscopat a été exprimé mercredi 16 mai 2018, quelques heures après la réception du nouveau Nonce apostolique par Mgr Samuel Kleda. Au cours d’une cérémonie en l’honneur de Mgr Julio Murat, le président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun(Cenc) a invité le nouveau Nonce apostolique à parler d’une même voix avec l’Église camerounaise dans son histoire. Le contexte historique camerounais est tellement marqué, depuis deux ans, par la crise sociopolitique dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest-Cameroun que l’on s’interroge sur le rôle de médiateur de l’Église catholique dans la résolution de la crise dite anglophone.
C’est le Centre d’analyses géopolitiques International crisis group (Icg) qui a, le 25 avril 2018, donné le ton dans son récent rapport, en appréhendant l’Église catholique comme une instance devant jouer le rôle de médiateur dans la crise anglophone. «Étant donné l’opposition du régime en place à toute médiation internationale, relèvent les rédacteurs de cette organisation, l’Église catholique est quasiment le seul acteur en mesure d’intervenir et de promouvoir le dialogue entre le gouvernement et les activistes des régions anglophones». L’exigence de cette instance supra nationale et la nouvelle sortie publique de Mgr Kleda remettent au goût du jour le questionnement autour du rôle de médiateur de l’Église catholique dans le règlement de cette crise sociopolitique. Vu le contexte qui règne depuis plusieurs décennies, le pouvoir et l’Église catholique ont toujours entretenu des rapports conflictuels relativement à la survenue des événements cruciaux au Cameroun. L’un des derniers cas en date est celui au décès tragique de Mgr Jean-Marie Benoit Bala, évêque du diocèse de Bafia. Alors que l’État a soutenu la thèse de la mort du prélat par noyade, la Conférence épiscopale nationale du Cameroun a défendu l’argument de l’assassinat.
De plus, depuis l’avènement du processus de démocratisation de la vie politique, l’Église catholique accorde une onction aux revendications des populations locales. Toute chose qui ne rencontre pas toujours l’assentiment des autorités gouvernementales. Les positions idéologiques de l’archevêque émérite, le Cardinal Christian Tumi, ont, très souvent, été discréditées par le régime en place. Autant il y a un schisme entre l’Église catholique et le gouvernement camerounais, autant il y a des divergences au sein de l’État ecclésial. En effet, le clergé lui-même n’a pas fait preuve d’unanimisme au début de la crise anglophone. Ceci s’est, en l’occurrence, vérifié autour des positions de certains évêques sur l’escalade de la violence. L’on se souvient qu’en octobre 2017, dans les zones anglophones, les évêques de Bamenda avaient parlé de «génocide», d’ «épuration ethnique» et d’ «usage irresponsable d’armes à feu contre les civils désarmés». Or, quelques jours plus tard, sur les ondes de Radio France internationale(Rfi), le président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun avait battu en brèche cette position des évêques anglophones et avait plutôt opté pour la voie de la pondération dans son discours.
Enfin, l’Église catholique elle-même est constituée des leaders et acteurs ecclésiaux, dont la lecture des faits sociaux est tantôt subjective, tantôt affective. A preuve au sein de la congrégation catholique, il y a aussi bien les prélats pro-régime en place que les prélats antisystème gouvernant. Se positionner en tant que médiateur pour régler la crise sociopolitique contemporaine, eu égard à cette antinomie, est non seulement hypothétique, mais aussi et a fortiori, problématique à l’état actuel.
Serge Aimé BIKOI