Alors que le pays doit travailler sans relâche pour rattraper le retard économique, le politique ne se gêne pas de décréter des jours sans travail, paradoxalement bien accueillis pas les populations promptes à célébrer des fêtes dont elles ignorent même jusqu’à la signification.
Les Camerounais sortent ce mercredi 22 août 2018 de ce qu’ils appellent un long weekend, à savoir quatre jours non ouvrés pour le cas d’espèce. Partis en weekend depuis vendredi soir, ils ne sont revenus au travail que mercredi, à la faveur de la fête de la tabaski qui se célébrait mardi. Entre temps, le président de la République a ajouté la journée de lundi à cette succession de jours non ouvrable, usant ainsi des prérogatives que lui confère la loi 73/5 du 07 décembre 1973, fixant le régime des fêtes légales en République unie du Cameroun. Laquelle loi décrète 10 jours fériés au total dans l’année au Cameroun, soit quatre pour les fêtes légales civiles que sont le jour de l’an le 1er janvier, la fête de la jeunesse le 11 février, la fête du travail le 1er mai, la fête Nationale le 20 Mai, et 6 pour les fêtes légales religieuses, dont quatre pour les chrétiens et deux pour les musulmans. A ces 10 jours légales, s’ajoutent souvent des jours qui les précèdent ou les suivent, et qui deviennent aussi fériés soit automatiquement après les fêtes légales civiles célébrées un dimanche, soit par arrêté du président de la république pour celles qui viennent après ou avant les fêtes légales religieuse.

Pour ce qui est des fêtes légales civiles, la loi précise en effet que lorsqu’elle « est célébrée un dimanche ou un jour férié, le jour consécutif est assimilé à cette fête du point de vue des conditions de travail et de rémunération. » Pour les fêtes légale religieuse, il est stipulé que lorsqu’elle « est célébrée un dimanche ou un jour férié, le Président de la République peut, par arrêté, déclarer férié non chômé le jour consécutif. L’article 4 de cette loi va plus loin pour indiquer que « la veille ou le lendemain d’une fête légale peut être, selon les cas, déclaré férié par arrêté du Président de la République lorsque la fête considérée est célébrée un vendredi ou un mardi. » C’est dans ce dernier cas que se retrouve le lundi dernier qui a été déclaré férie depuis vendredi par un arrêté du président de la République.
Pertes économiques
Mais à qui profitent ces jours de chômage et leur bonus ? Si des Camerounais sont souvent prompts et enthousiastes à réclamer les fériés et leurs différents « ponts » avant ou arrière, c’est l’économie nationale qui en paie le prix fort.
Le 26 décembre 2012, le Docteur Sende, chercheur camerounais et enseignant à l’Université de Bangui, a donné à Bertoua une conférence de presse au cours de laquelle il présentait les conséquences néfastes des jours fériés sur l’économie du Cameroun, pour conclure que les jours fériés font perdre des milliards de francs cfa par an. Il avait notamment examiné les effets des jours fériés sur la production industrielle et l’activité globale au Cameroun de 1980 à 2012, et a considéré que l’importance des effets des jours fériés n’est pas à négliger. Il est vrai que l’occasion des fêtes religieuses donne lieu à d’importantes dépenses des ménages pour la consommation et certains services tout en faisant tourner les entreprises brassicoles, mais un pays comme le Cameroun devrait justement éviter d’encourager une surconsommation au moment où la production des richesses est au plus bas.
Ignorance et acculturation

Jean Paul Pougala, dans l’une de ses réflexions publiées le 1 juin 2014, disait «personne ne semble se rendre compte que chaque jour férié est une perte énorme pour une Nation qui se cherche encore sur le plan économique.» Et toute la nation est généralement contente qu’il y ait multiplication des fériés. L’intellectuel émet même des réserves quant à certaines fêtes religieuses que l’on s’empresse au Cameroun à célébrer comme l’ascension, alors qu’en Italie où se trouve le siège du Vatican, le pays ne fête pas cette supposée montée au ciel. Pareil pour les Etats Unis d’Amérique, le pays le plus croyant au monde, où les gens ne savent pas ce que c’est que célébrer la montée de Jésus voir son père. Même la 1er mai n’est pas célébré au Etats Unis comme férié, parce que selon Pougala, ils « disent qu’ils ne comprennent pas comment on peut fêter le travail en croisant ses bras. Pour eux, rendre férié le 1er Mai est une insulte au travail. Le Canada non plus, pays très chrétien ne fête pas l’Ascension, à la raison que c’est trop coûteux pour le pays que de croiser ses bras (pour une fable de trop). Il explique que ne subissant aucune pression religieuse occidentale, la Chine pour s’en sortir a tout simplement aboli le samedi et le dimanche comme jour de repos pour tout le monde. Les gens ne sont pas obligés d’arrêter de travailler les mêmes jours. Ce qui fait que la Bank of China par exemple ouvre 7 jours sur 7, idem pour la poste chinoise ou la douane, ce qui donne un avantage de 104 jours par année sur ses principaux concurrents étrangers.
En tout état de cause, l’enthousiasme avec lequel les Camerounais sollicitent les fériés et ses additifs, la facilité avec laquelle ces « pont » sont construits indique bien que du sommet à la base les objectifs sont encore peu visibles, encore moins le souci de les atteindre. Dans le secteur du sport en ce moment, des entreprises en charge de la construction des stades et autres infrastructures pour la Can 2019 ne peuvent se permettre un jour sans travail, parce qu’elles ont des objectifs à atteindre et des délais à tenir. Comment alors comprendre que le Cameroun qui dans l’ensemble est tout à construire, et a même un objectif d’émergence en 2035, ne se contente pas seulement de ses fêtes légales déjà jugées fantaisistes par les économistes, mais y ajoute des ponts dès que l’occasion se présente ?
Roland TSAPI