La campagne électorale ouverte depuis vendredi à minuit est une période au cours de laquelle la neutralité de l’administration est plus que jamais mise à rude épreuve. Simplement parce que dans les usages elle a coutume d’oublier que son rôle régalien ne laisse aucune place pour la partialité et que tout citoyen devrait se sentir protégé. L’ouverture de cette campagne a été émaillée de deux incidents, notamment deux tentatives d’interdiction de meeting à Douala. L’une dans l’arrondissement de Douala V à la cité Cicam, et l’autre dans l’arrondissement de Douala IV à Bonabéri. Les deux sous-préfets invoquaient l’indisponibilité du stade Cicam pour le premier cas, et la perturbation évidente de la circulation pour le cas de Bonabéri ou le parti avait sollicité l’entrée du lycée polyvalent.
Interdiction fantaisiste
A Douala V, l’arrêté d’interdiction avait peut-être été signé mais n’a jamais été délivré aux concernés, ce qui fait qu’on ne l’a jamais vu. Pour le cas de Douala IV, l’administrateur civil principal, chevalier de l’ordre national de la valeur et sous-préfet Ekoa Mbarga Jean-Marc, a signé le 21 septembre l’arrêté dans lequel on peut lire: « J’ai le respectueux honneur de vous faire connaître qu’il n’existe au lieu sus indiqué aucun espace susceptible d’accueillir une foule sans interrompre inéluctablement la circulation. Conformément aux dispositions pertinentes de l’article 95 alinéa 1 du code électoral, je ne peux accorder aucune autorisation spéciale de tenue de réunion sur la voie publique dans un arrondissement où des espaces dédiées à ce type de rencontre foisonnent. »
L’article 95 alinéa 1 en question indique : « sauf autorisation spéciale de l’autorité administrative territorialement compétente, les réunions ne peuvent être tenues sur la voie publique. » Mais avant cette disposition, l’article 94 qui le précède dit en son alinéa 1 qu’ « en cas de menace manifeste ou de troubles graves à l’ordre public, l’autorité administrative peut, par arrêté, interdire une ou plusieurs de ces réunions.» Et surtout l’alinéa 2 précise qu’ « elle doit, dans ce cas, (parlant de l’autorité administrative) convenir avec les organisateurs, d’une nouvelle date ou, éventuellement, d’un autre lieu pour leur permettre de tenir cette ou ces réunions. Elle en informe les démembrements compétents d’Elections Cameroon. »
Interdiction interdite
Mis ensemble, ces articles disent en résumé qu’en période de campagne électorale, un meeting ne peut être interdit, il peut simplement être délocalisé, c’est-à-dire que si l’autorité administrative estime qu’il y a un problème de quelque nature que ce soit sur le site sollicité, il convient avec le demandeur d’un autre endroit ou d’une autre date. Dans tous les cas il doit se débrouiller pour que le meeting se tienne, à moins que le demandeur ne décide autrement, mais on ne peut parler d’interdiction sèche comme cela a été le cas pour les exemples cités. C’est d’ailleurs en se fondant sur ces dispositions légales que les candidats frappés d’interdiction ont ignoré les décisions. Une entente a finalement été trouvée pour le meeting de Bonabéri qui s’est tenu non loin du site sollicité, tandis que celui de la Cité Cicam a simplement été autorisé à se tenir au même endroit.
Devoir de neutralité
Si tout est rentré dans l’ordre au final, avec même un coup de chapeau tiré aux forces de maintien de l’ordre pour leur attitude citoyenne lors du meeting de Bonabéri, il convient de relever que les autorités administratives dans la prise des décisions peuvent et doivent éviter à la population ces désagréments qui au final n’ont réussi qu’à faire une publicité gratuite de ces candidats. La raison de perturbation de la circulation à Bonabéri, invoquée par le sous-préfet est en effet discutable. Dans une ville de Douala où les routes hautement circulantes et très sensibles sont barrées au quotidien pour des deuils et des promotions commerciales, parfois pendant 24 heures, sans que l’on n’y trouve d’inconvénient. Pourtant dans le cas d’espèce le site n’était sollicité que pour 2 heures, un samedi en plus.
Dans un contexte où l’autorité administrative est tous les jours accusée de partialité dans la prise de décision, elle a tout intérêt en cette période de campagne électorale, de redoubler de vigilance et faire preuve de personnalité pour résister à toute influence d’où qu’elle vienne afin de mener sa mission dans l’intérêt de tous. Il ne tient qu’à elle de démontrer que ce corps de métier est noble et mérite d’être respecté parce que respectant les libertés fondamentales de tous, et non des uns et pas des autres. Il y a d’ailleurs parmi les candidats à l’élection présidentielle, celui d’un parti politique qui a été victime de tellement d’interdictions de manifester en temps ordinaire, qu’il promet s’il est élu, de fermer simplement l’école qui forme les administrateurs civils.
Roland TSAPI