Leçon inaugurale : « Etre écrivain au Cameroun en 2018 : qu’est-ce que cela veut-il dire ? »
Par
HDR des littératures africaines et comparées
Professeur titulaire des Universités
Président du Comité scientifique du Colloque
-Monsieur le Ministre des Arts et de la Culture,
-Monsieur le Président de l’APEC,
-Mesdames et Messieurs les écrivains de différentes nationalités.
Je souhaite me réjouir d’entrée de jeu de la présence très significative dans cette salle, de Monsieur Narcisse Mouelle Kombi, Professeur titulaire des Universités, Agrégé de Droit public et Science politique, Ministre des Arts et de la Culture du Cameroun, et par ailleurs, écrivain au talent reconnu, heureux initiateur de la relance des activités de l’APEC. A peine installé à la tête du Ministère, fondement de notre «être africain », vous avez fait renaître l’APEC des cendres de ce que Pabe Mongo a appellé, une « véritable République des Lettres au sein de la République tout court », c’est-à-dire, l’APEC historique. Du coup, vous confirmez, Monsieur le Ministre, dusse en souffrir votre humilité, que vous prenez la posture militante de chantre infatigable de l’enracinement dans notre culture d’Africain. Je voudrais dans la foulée, saluer le dynamisme impulsé par le Docteur Pascal Bekolo Bekolo, alias, Pabe Mongo qui a apporté un souffle dynamogène à l’APEC, après une seule année de retour à la visibilité.
J’en profite pour saluer pour des raisons personnelles, la présence dans la salle des amis écrivains que j’ai rencontrés dans des Colloques ou Journées scientifiques (Eugène Ebode, Blaise-Romuald Fonkoua), et ceux que je rencontre pour la première fois à l’occasion de cette semaine des arts N’Dongo Mbaye du Sénégal, Pr Atukwei Okai) , grands monuments de la culture africaine. Ce n’est pas une entreprise facile que j’engage maintenant en m’adressant à vous dans le cadre d’une leçon inaugurale au cours de laquelle je dois tenter de répondre à une question: « être un écrivain au Cameroun en 2018 : qu’est-ce que cela veut-il dire ? » Vous l’avez fort bien senti. Leçon ? Pour qui ? Pour des écrivains de renom, des hommes et des femmes dont la plume a taillé, gravé, façonné des personnalités ? Des hommes et des femmes dont les écrits promis à l’anhistoricité et à la transhistoricité ont déjà transformé le monde ? Mon inconfort provient aussi de ce que je dois assumer ici et maintenant une double posture d’écrivain et de critique littéraire, des activités cousines qui rythment mon propre quotidien. Mon propos est donc simplifié et il s’articule sur deux aspects:
-l’hommage aux anciens, lesquels ont inspiré peu ou prou les générations suivantes et actuelles d’écrivains;
-et le rôle que j’assigne à l’écrivain camerounais ou africain, peu importe, à partir de ma propre expérience et de ma posture de critique littéraire.
I- Dans l’hommage aux anciens
Il est loisible aujourd’hui, de dire l’interaction entre l’écrivain et l’homme politique à l’époque coloniale, unis qu’ils étaient contre le colonisateur. Créateur de valeurs, l’écrivain était le porte-parole de tous. De la poésie de Francesco Nditsuna (ou François Sengha Kuo) à la prose truculente d’un Mongo Beti (Alexandre Biyiti), l’engagement était perceptible et répondait parfaitement à la vocation de l’art, qui consiste à faire crier « cette humanité qui hurle hors des pores de notre peau », s’il faut reprendre la belle formule de Marie Rose Abomo-Maurin.
Pour tous ces écrivains dont l’exhaustivité de la liste importe peu ici, la littérature a toujours été une démarche cognitive, génératrice de connaissances. Parole non discutable lorsqu’il s’agissait de défendre notre culture d’Africain, une sorte d’impératif, une ascension vers le sommet, mieux, une belle promesse. Il faut rappeler que la culture a joué un rôle primordial dans les questions relatives à la définition des identités individuelles et collectives, dans la cohésion sociale et le développement politique et socioéconomique. La littérature était à l’avant-garde de cette quête. Les œuvres littéraires, bien que fictionnelles, traduisaient plusieurs réalités spirituelles, économiques, culturelles, sociales et même matérielles des peuples du continent africain. Avec un petit glissement dans l’histoire, on note la prégnance de l’analyse du contact colonial, en raison de ses implications psychologiques et psychiques qui avait transformé l’individu ainsi mis en relation avec l’Occident.
Les œuvres produites indiquaient la volonté de se dépouiller des attitudes inculquées par le maître, ce qui, on peut le dire aujourd’hui sans crainte, pouvait faire payer un dur prix aux auteurs avec la torture, l’exil des écrivains, des intimidations et autres sévisses. Le texte était un objet à la fois dangereux, étrange et fascinant. Les interrogations fusaient et ne concernaient pas que l’ancien maître : Comment fonctionnait la nouvelle administration ? Comment se comportaient les congénères ? Respectaient-ils leurs frères ou bien voulaient-ils imiter les agissements de l’ancien colonisateur ? Satisfaisaient-ils les besoins de liberté et d’épanouissement longtemps recherchés en se secouant du joug colonial ? Perpétue et l’habitude du malheur de Mongo Beti, ou encore, Les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma peuvent constituer de douloureuses illustrations, « des regards incisifs jetés sur un univers de cauchemar », comme l’écrira plus tard Jacques Chevrier (Littérature nègre, Paris Armand Colin, 1984, p.8). Telles étaient les nombreuses interrogations que reproduisit la littérature de la postcolonie.
Le débat sur les contours du terme de postcolonie ne m’intéresse pas ici. Je le prends dans le sens tout à fait simple des écrits produits à l’intérieur d’anciennes colonies ou de territoires se trouvant toujours sous le pouvoir ou l’influence des métropoles françaises ou anglaises. En tant qu’activité de communication, la littérature ne saurait être un simple produit, mais un facteur de production de la société. Elle participe à l’économie des savoirs en ce sens qu’elle véhicule des valeurs esthétiques, sociales, éthiques qui peuvent contribuer à transformer la société. Ce qu’il faut en retenir, c’est que les œuvres de devanciers traduisaient les rapports des peuples au genre, à la vie, au sacré, à la religion, à la naissance, à la mort, au beau, à l’éducation, à l’amour, à la cosmogonie. Les signes et les discours ne sont pas toujours transparents; derrière un sens patent se cache un sens latent, plus profond ou plus élevé, de grande valeur à mettre à la disposition du citoyen lecteur. Je veux dire que quand le sens littéral ne va pas de soi, on fait appel à un autre niveau de sens pour que l’œuvre soit comprise et se mette au service de la construction du monde.
C’est le rôle du métalangage qui suivait le mouvement des artistes, mettait les textes à la portée des lecteurs de manière à faire comprendre le message, complice dans la même quête pour la reconnaissance de l’Africain. Dans ce sillage peuvent prendre place certains grands noms qu’on a plaisir à citer à l’instar de Bernard Fonlon, Thomas Meloné, Mathieu François Minyono Nkodo de douloureuse mémoire et d’autres Jacques Fame Ndongo, Ambroise Kom, Marcelline Nnomo, Sylvestre Bouelet …, experts en herméneutique des textes africains, et éternels promoteurs de la terre de nos origines africaines. En fait, c’est bien l’ensemble de l’institution littéraire (production, diffusion et timidement, consécration) qui se mobilisait avec détermination, avec véhémence, pour revendiquer en même temps l’autonomie politique et la création collective d’un avenir humain meilleur pour l’humanité.
II- Quel rôle pour l’écrivain d’aujourd’hui ?
Je parlais tantôt d’inconfort dans ma qualité d’auteur. De ce côté également, l’exercice est délicat, parce qu’il peut paraître agaçant pour l’auditeur d’écouter parler de soi-même, au moment où je tente de dire ce qu’est le rôle de l’écrivain de 2018. Je me sens véritablement mal à l’aise parce qu’on est souvent incompétent à analyser soi-même son œuvre, parce qu’en fin de compte, j’ai l’impression que je vais me dire à moi-même ce que je dois faire. Mais, comment témoigner véritablement sans se référer à sa propre expérience, avec le risque d’être prétentieux? Je me convaincs que mon témoignage personnel, notre témoignage commun, pourrait éclairer notre aventure collective comme le pensait Tchicaya U Tam’si, si tant est que je suis moi-même, nous sommes, le produit de notre communauté.
Mais au fait, qu’avons-nous voulu dire au lecteur dans nos textes d’aujourd’hui? Les écrits participent du déploiement de l’énergie créatrice de valeurs. Dans un autre contexte, j’affirmais que la littérature contemporaine du Maghreb était en même temps une quête, une requête et une conquête de l’éthique, garante du développement. La société dans laquelle nous évoluons nous inspire par sa beauté, mais aussi du côté des laideurs qui pourrissent l’existence (corruption tellement insidieuse qu’on se surprend à vouloir vivre avec; retournement de valeurs au point que l’incorrection, ce que Mono Hubert appelle « écarts (au pluriel) » sont encouragés, au moment où la rectitude morale est sauvagement punie, laideurs génératrices de nombreuses turpitudes). Les œuvres s’interrogent, vous l’avez bien compris, sur la justice et le devoir, sur les droits, à l’intérieur de l’Afrique et sur le plan des relations internationales. Ce survol thématique peut suggérer le rôle que secrètement tous ici, tentons d’assigner à l’écrivain.
Nous avons compris ce qu’était notre devoir d’écrivains, perpétuer la démarche créatrice des prédécesseurs, défendre et illustrer les cultures et les traditions africaines par la littérature, facteur de production de société. Quel rôle pour l’écrivain camerounais? Je ne souhaite pas aborder cette question directement parce que tout de suite, on tombe presque sans s’en rendre compte aux prescriptions, aux ordonnances (il doit, l’écrivain doit…). C’est un premier pas vers le dogmatisme, alors que nous sommes dans l’imaginaire. Pour contourner ce piège, je dis ma conception et ma conviction de la littérature qui cesse d’être cette beauté uniquement destinée à distiller du plaisir sans emprise réelle sur la marche des choses. Qui s’éloigne de plus en plus des préoccupations primordiales de l’Afrique coloniale où le rôle de l’écrivain était de joindre l’action culturelle à l’action politique.
Aujourd’hui, la situation a très sensiblement évolué et la littérature participe à l’économie du savoir, la recherche-développement. Ceci est valable autant pour l’écrivain camerounais que pour l’écrivain centrafricain, marocain, gabonais ou sénégalais. Au niveau de la littérature nationale camerounaise, les écrits s’inscrivent dans la dynamique recherche-développement. Qu’on lise
-Jacques Fame Ndongo (L’A-fric, Ils ont mangé mon fils)
-Bole Butake (The Rape of Michèle. And Palm-wine Will Flow…)
-Gaston Paul Effa (La Saveur de l’ombre, Quand le ciel se retire),
-un autre Gaston, Kelman celui-là, dont le sourire et la bienveillance n’enlèvent rien à la gravité des sujets traités (Je suis noir et je n’aime pas le manioc, Les Blancs m’ont refilé un Dieu moribond, Au-delà du Noir et du Blanc),
-Calixthe Beyala, la princesse noire (C’est le soleil qui m’a brûlée, La Petite fille du réverbère, Maman a un amant, Comment cuisiner son mari à l’africaine),
-John Nkemgong Nkengasong (God Was African. Across the Mongolo. Letters to Marion. Achakasara)
-Eugène Ebode (Souveraine magnifique, histoire de la rescapée des massacres de 1994 au Rwanda. La Transmission, le rêveur de foot doit payer la dot de ma mère due par son père)
-Nathalie Etoke (Je vois du soleil dans tes yeux)
-ou Léonora Miano (L’Intérieur de la nuit, Contours du jour qui vient, Les Aubes écarlates, La Saison de l’ombre)
Ce sont là des exemples pris au hasard. Qu’on lise l’un ou l’autre de ces écrivains dramaturge, poète ou romancier, on réalise avec la litanie à peine esquissée de leurs œuvres, qu’ils veulent créer un autre monde, qu’ils œuvrent à la transformation de la société. L’écrivain camerounais, jouissant de la liberté de la parole comme l’a annoncé La NOLICA (La Nouvelle Littérature Camerounaise) de Pabe Mongo, nanti d’une solide compétence culturelle, est un homme inquiet (inquietus au sens latin, sans quiétude, sans repos), parce qu’il doit (hélas ! le texte m’oblige) savoir accompagner la construction du Cameroun et son entrée dans le monde globalisé. Cela induit entre autres,
-la commission des œuvres d’équité et d’égalité
-la stigmatisation de la corruption et de l’antipatriotisme
-la mise en valeur et l’exercice de consolidation de notre science, de nos mythes, de nos valeurs ancestrales, de notre art,
-la connexion féconde de la théorie et de la pratique,
-l’alliage efficient entre tradition et modernité.
-le rejet définitif du carcan des modèles occidentaux pour renouer avec le public réel un dialogue indispensable.
Sur le plan de la communication, on peut penser, devant certains scriptables apparemment hermétiques, que la recherche du lexique d’élite constituerait par contre, une entrave à la fonctionnalité de la compétence communicative. Le rituel communicatif exige en effet, la prise en compte des conventions de contextualisation, des principes et maximes pragmatiques qui régissent un acte de communication réussi. Ceci est fort valable et recommandé. Mais, ne lit-on pas goulument le style éruptif de Calixthe Beyala, dans une syntaxe et avec un lexique (les mots= m-o-t) qui lui sont personnels et qui portent avec fermeté et une élégance toute féminine, les maux (a-u-x) qui freinent l’épanouissement féminin ?
Son style ne rejoindra celui d’un Nkoa Atenga (L’Enfant de la révolte muette. Betayen, je te hais. Malinda) que dans l’exercice de la narration de la nation. On peut le marteler, qu’il ne viendra jamais à l’esprit de confondre leurs deux styles, bien que les deux écrivains soient originaires d’une même aire culturelle Fang-Beti et vivent, la princesse, en Europe, le soldat au Cameroun. Illusions, recueil de poèmes commis par Clément Dili Palaï, originaire d’une aire culturelle sahélienne, pourrait s’avérer difficile de compréhension, alors qu’il fait simplement le tour des malaises quotidiens. La syntaxe chez lui rime avec émotions vitales des acteurs sociaux dans le but de susciter de nouveaux rapports existentiels. Les différentes marques individuelles du génie créateur qui qualifient les écritures camerounaises, en fonction de la manière propre à chacun d’écrire, imposent alors une esthétique de la variété stylistique, posture à consolider pour exprimer une identité littéraire camerounaise
C’est dire, que tout en prenant le lecteur pour quelqu’un d’intelligent, le style de nos textes, attitude ou disposition personnelle, ne devrait pas dissimuler ou très peu, notre recherche collective du vivre-ensemble. Ce binome est à la mode dans notre environnement depuis les troubles en cours dans les Régions du Sud-ouest et du Nord-ouest, mais il n’est ni une nouveauté, ni une découverte, parce que toute l’aventure humaine n’est que la longue histoire de la pénible construction du vivre-ensemble humain. Si par hasard les gouvernants qui ont pour intelligence principale, d’anticiper les instabilités et autres perturbations du vivre-ensemble se laissent surprendre, les écrivains ont le devoir de le leur rappeler, fût-il brutalement. Révélation de turpitudes, mais en même temps apport et port de solutions dans les multiples actes de transformation du pays, voilà ce qu’on a droit d’attendre des écritures camerounaises. Elles renouvelleront chaque jour leur esthétique pour lui donner une identité particulière et alimenteront le débat d’idées sur notre société. Les écritures camerounaises, faisant fi du pseudo clivage centre/périphérie, – une autre invention qui ne mérite pas qu’on s’y attarde-, deviendront une force de propositions, sans jamais perdre de leur littérarité, je veux dire, sans perdre de leur beauté, leur part de plaisir.
Pour conclure mon propos,
Monsieur le Ministre des Arts et de la Culture
Monsieur le Président de l’APEC
Mesdames et Messieurs les écrivains
Permettez-moi encore de vous confirmer que c’était là ma conviction, parce qu’il restera toujours nos rêves d’écrivains inspirés pour réinventer le Cameroun.
Je vous remercie de votre aimable attention.