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Patience Eding : «Les images que les Ong nous ramènent de l’Afrique, c’est des enfants qui pleurent, des gros ventres»

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Des fashion week aux compétitions sportives internationales, en passant par les Grammy Awards…, Patience Eding est devenue incontournable dans les grands rendez-vous.  Cette photographe internationale qui réside en Suisse a posé ses valises à Yaoundé au Cameroun, pour quelques jours, le temps du Grand Prix Francophilie des Médias 2022, organisé par le Réseau des journalistes culturels du Cameroun. Camerounaise originaire de Bakoko d’Edea, Patience Eding est la première femme noire africaine photographe au Festival de Cannes. Entre deux ateliers de formation au photojournalisme, la photojournaliste s’est entretenue avec La Voix Du Koat. 

 

Patience Eding : «Les images que les Ong nous ramènent au sujet de l’Afrique, c’est des enfants qui pleurent, des gros ventres»
Patience Eding au Festival de Cannes.

 

 LVDK : Comment naît votre amour pour la photographie ?

Quand j’étais petite, on m’avait offert pour mon anniversaire, un appareil photo, qui s’appelle voleur de couleurs. C’était de  petits garçons qui étaient habillés comme des abeilles. Quand ils voyaient des gens dans la rue, ils prenaient des photos et ils repartaient avec leurs couleurs. Ça m’avait marqué. Je me suis donc dit qu’on peut emprisonner le bonheur des gens et le leur rendre plus tard. Et en grandissant, quand j’avais des bonnes notes, on me permettait de faire des photos et de les développer en noir et blanc. Tous les ans, mes parents aimaient beaucoup m‘amener chez le photographe pour me prendre en photo. Et donc j’ai des photos de moi quand j’étais toute petite. C’est comme cela que l’amour de la photo m’est venu et c’est devenu une passion de faire des photos et garder des souvenirs. Ensuite, on est passé à tout ce qui est un plus digitalisé où on  n’a pas peur de se tromper. On peut reprendre autant de photos qu’on souhaite. Dans l’établissement scolaire dans lequel j’étais, situé dans le 16ème arrondissement en France, on pratique beaucoup d’art. J’y ai ainsi  poursuivi mon apprentissage. Après, j’ai fait l’école des Beaux-arts à Paris, puis l’école d’architecture. A l’école d’architecture, dès la 1ère année, on apprend les couleurs, la perspective (rire), c’est la partie la plus difficile. Parfois, il faut créer la perspective. J’ai  continué à travailler, j’ai continué à faire mes photos, à faire quelques petites expositions avec mes amis. Finalement, lorsque j’ai créé mon entreprise en 2004, je proposais à mes clients de leur faire des reportages photos sur toutes leurs manifestations.

LVDK : Votre exposé devant les journalistes culturels sur le photojournalisme a été l’activité la plus dynamique. Comment vous faites pour entretenir votre auditoire, sans l’ennuyer ? 

Je me suis rendue compte que la photographie est comme les mathématiques, tout le monde n‘est pas à l’aise avec les maths. Mais en réalité, on se rend compte que tout le monde sait se déplacer dans l’espace. C’est beaucoup de géométrie. Les gens adorent le jeu, ils le font naturellement. On le voit quand ils se déplacent, quand ils font des photos, ils se tordent dans tous les sens pour faire la bonne photo. Et c’est ce qui m’a passionnée. En fait, l’expérience est le principal enseignement. Ça ne sert à rien de donner des cours magistraux. Si la personne exerce, elle expérimente par elle-même, elle va mieux comprendre. C’est ton expérience que tu confortes avec la mienne ; ça fait deux points de vue qui s’affrontent. C’est en comparant nos manières de travailler aux autres qu’on s’améliore. L’apprentissage, c’est l’expérience par soit même.

LVDK : Au sortir de l’école, vous créez immédiatement votre entreprise. Tout a été rose on dirait…

Parce que j’étais déjà professionnelle. Le professionnel, c’est celui qui prend des risques et se fait payer pour ces risques. Alors que l’amateur, c’est celui qui hésite. Il n’a pas forcément envie de se professionnaliser. Pour moi, c’était une évidence. Quand on travaille avec des entreprises, elles veulent quelqu’un qui assume, quelqu’un de sérieux. Moi je suis une photographe internationale, c’est-à-dire que j’interviens dans le monde entier pour des événements en rapport avec tout ce qui est mode : les fashion week de New-York, de Milan, de Paris ;  c’est un cycle en fait. Les fashion week, ce sont les semaines de la mode  qui se passent dans un pays pendant une semaine. Lorsqu’on finit dans un pays, on va dans le deuxième, puis le troisième ainsi de suite. Ça s’enchaine. Il y a cette partie qui intervient en janvier, février mars jusqu’en juin. Puis, il y a les grands festivals comme le festival de Montreuil ; ensuite, on a les Goldens, les Grammy Awards qui concernent la partie artistique.

Lire aussi :Grand Prix Francophilie des Médias 2022 : pour le rayonnement du patrimoine culturel camerounais 

J’ai la chance d’être mandatée pour faire les photos de ces événements. Mais ça n’a pas été facile d’être acceptée, parce que je suis une femme dans un monde d’hommes, mais surtout, je suis une africaine. J’ai été discréditée, harcelée. Quand je prenais une photo, on disait ‘‘waouh, c’est super, c’est magnifique, il fallait y penser’’. Mais une fois que je signais la même photo, les commentaires changeaient ; maintenant c’était, ‘‘cette camerounaise a loupé sa photo, cette africaine…’’. J’ai même été blacklistée.

Patience Eding : «Les images que les Ong nous ramènent au sujet de l’Afrique, c’est des enfants qui pleurent, des gros ventres»
Lupita Nyong’o, photographiée par Patience Eding.

LVDK : Sans les Grammy, les Fashion Week…ça a dû être difficile pendant le Covid…

Alors, je dois dire que je suis une fille assez chanceuse. Parce qu’en fait, le Covid a développé autre chose qu’on appelle les catalogues. A un moment donné, les sites se sont rendu compte, que les marques devraient être présentes sur les sites internet. Les gens ne consommaient plus comme avant. Comme il n’y avait rien à faire, les internautes passaient des heures à revenir sur la même page. Et lorsqu’ils  trouvaient les mêmes choses, ils s’ennuyaient. Et la fréquentation baissait. Alors, au lieu de mettre une photo dans un article, on en mettait deux, trois voire quatre. Et du coup,  on avait faire recours aux photographes de studio pour alimenter en image la consommation. J’ai eu cette chance de faire partir de cette fameuse branche qui a du se réinventer, qui est la branche de la mode.

Lire aussi :Valérie Ayena : du catwalk pour le grand écran 

LVDK : Quand exprimeriez-vous votre art au Cameroun ?  

Appelez-moi ; dites-moi qu’on a quelque chose, on aimerait nouer un partenariat. Je suis ouverte.

LVDK : Quel regard portez-vous sur cet événement du Réseau des Journalistes culturels du Cameroun?

C’est un événement extraordinaire. C’est bien de mélanger les savoirs afin de justement les partager. Et de se mesurer avec ce qui se passe à l’international. Il est important de créer ce réseau afin de s’entraider et surtout de s’aligner en termes de compétence avec ce qui se passe à l’international. J’espère qu’à partir de là. Il y a par exemple le monsieur qui a parlé de son projet de création d’une bande d’images, c’est magnifique. En tout cas, il y a beaucoup à faire. Il faut que l’Afrique montre d’autres images, que celles de la pauvreté qu’on a tendance à véhiculer par les Ong.

Patience Eding : «Les images que les Ong nous ramènent au sujet de l’Afrique, c’est des enfants qui pleurent, des gros ventres»
By Patience.

LVDK : Quelle vue panoramique de l’étranger, avez-vous justement du Cameroun et de l’Afrique ?

Je suis très triste. Quand on est en Europe, on ne voit que de la tristesse et de la pauvreté en Afrique. Les images que les Ong nous ramènent c’est généralement des enfants qui pleurent, des gros ventres, des pieds maigres. Même dans les publicités européennes, on montre que les Africains ont un problème de nourriture. Nous on a un problème avec le bonheur. Nous ne connaissons le bonheur que lorsqu’on danse. Dès qu’on retire cela, c’est la tristesse. Ce qui fait que, même en Europe, ils ont peur des Africains. Parce que notre faciès n’exprime pas la joie. Sur les réseaux sociaux en Afrique, vous véhiculez la violence, des corps carbonisés, des hommes qui violentent leurs femmes, des influenceuses qui s’insultent… Vous montrez la tristesse, la peur, le sensationnel, tout le négatif, et on retient que rien de bon ne peut venir de l’Afrique. Et c’est archivé. Du coup, ça fait peur de venir en  Afrique. L’Europe montre la joie, l’espoir, le positif. Vous ne verrez jamais un corps carbonisé et autre en Europe. Les photographes africains doivent changer la donne, présenter des images positives du continent. Si vous voulez créer les buzz, faites-le sur des choses positives.

Entretien avec Valgadine TONGA    

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