Pendant qu’il est interdit aux partis politiques de l’opposition les manifestations publiques, l’administration donne l’autorisation à un groupe jusque-là peu connu. Thierry Nama Cosmas, le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 1 a délivré depuis le 29 janvier 2019 un récépissé de déclaration de manifestation publique au collectif 300+ DIASPORA. Ce collectif représenté par DIT ETEME Robert Decloquement projette d’organiser vendredi 1 février 2019 : «Une marche en réplique aux manifestations illégales organisées par un parti d’opposition dans certaines localités du Cameroun et à l’étranger » suivant l’itinéraire hôtel de ville- services du gouverneur. Dans ce récépissé, le sous-préfet qui s’appuie sur les dispositions de la loi N° 90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations, mentionne également que, « l’intéressé ne changera ni la date, ni l’heure ni l’objet, ni le lieu retenu dans le récépissé.»
Plus sérieux, il précise que « l’intéressé devra prendra éventuellement l’attache des responsables des forces de maintien de l’ordre compétent en vue de convenir des modalités de couverture sécuritaire de cette manifestation». Enfin, devrait-on dire, au moins une marche qui ne va pas subir l’assaut des forces de l’ordre parce qu’ayant eu l’onction de l’autorité administrative.
Incohérences
Sauf que ce récépissé de l’administrateur civil principal en charge de l’arrondissement de Yaoundé 1er pose un problème et pas des moindre pour ce qui s’agit du texte, du prétexte et du contexte. Ou plutôt dans la forme, le fond et l’opportunité, il est évident que quelque chose n’a pas marché.
Sur la forme d’abord, la formulation laisse penseur. On lit dès la première ligne que « Le sous sous-préfet de Yaoundé Ier déclare avoir reçu une demande de déclaration de manifestation publique du collectif 300+ Diaspora ». L’article 6.- (1) de la loi fixant le régime des réunions et manifestations publiques dit pourtant que : « Sont soumis à l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique. »
Pour la loi il ne s’agit nullement de « demande de déclaration ». Le sous-préfet ou le chef de district reçoit une déclaration de manifestation, et non une demande de déclaration de manifestation, car dit ainsi, c’est comme si l’initiateur de la marche lui demandait l’autorisation de déclarer sa marche, alors que la loi lui recommande de la déclarer tout simplement.Dans la suite du document, on s’attendrait à retrouver une formule indiquant que l’administrateur a pris acte. Mais rien dans ce sens, il rappelle plutôt que l’intéressé s’engage à prendre les dispositions nécessaires en vue de préserver l’ordre public.
Viol de la loi et contradiction dans le fond
Dans le fond ensuite, ce récépissé comporte une preuve de plus que la loi est superbement piétinée au quotidien par ceux qui doivent la faire respecter. Le document est signé le 29 janvier 2019, et indique que le sous-préfet a reçu « la demande » le 28 janvier 2019, juste un jour avant. L’article 7 de la loi du 19 décembre 1990, que le document cite d’ailleurs, dit clairement : «La déclaration prévue à l’article 6 ci-dessus est faite au district ou à la sous-préfecture où la manifestation doit avoir lieu, sept jours francs au moins avant la date de ladite manifestation. » Et l’article 8 de préciser que le chef de district ou le sous-préfet qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement récépissé. Ce délai n’a pas été respecté, mais l’autorisation a été accordée
Dans le fond toujours, le sous-préfet demande à DIT ETEME Robert Decloquement (c’est bien le nom qui est écrit), de prendre éventuellement l’attache des responsables des forces de maintien de l’ordre compétentes en vue de convenir des modalités de couverture sécuritaire de cette manifestation. Convenir des modalités de couverture sécuritaire. En langage simple, cela veut dire qu’il faut s’entendre avec les responsables des forces de sécurités sur les modalités. Que doit-on comprendre par-là ? Les forces de l’ordre ont-ils à convenir avec un individu pour la couverture sécuritaire d’une manifestation publique, prévue et réglementée par la loi ?
Dans les usages, ce qui a d’ailleurs été manifestement respecté dans le document si l’on s’en tient à ce qui y est écrit, ampliation est faite du récépissé à tous les responsables en charge de la sécurité dans le territoire concerné par la manifestation publique. Le but étant que ces derniers prennent les dispositions nécessaires pour l’encadrer. D’où vient-il encore que le sous-préfet demande à l’initiateur de la marche de convenir avec eux des modalités ?
Germes de violences en filigrane
Pour le contexte enfin, il y a lieu de se poser la question sur l’opportunité de cette manifestation, surtout au regard de l’objet. Le récépissé parle de l’organisation d’une marche en « réplique aux manifestations illégales organisées par un parti de l’opposition dans certaines localités du Cameroun et à l’étranger ». Cet objet est en soi porteur des germes de la division et de provocation, et ce n’est pas à l’autorité administrative, formée à l’école de l’Administration que cela peut avoir échappé. Le risque de trouble à l’ordre public est en effet grand, si les marcheurs arrivaient à trouver en face d’autres marcheurs. En faisant une évaluation sérieuse des risques, on ne peut se tromper dans ce cas.
Le décret n° 2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services, dispose à l’article 52 que «Sous l’autorité directe du préfet, le sous-préfet est chargé du maintien de l’ordre, de l’exécution des lois…», entre autres. Et il n’est pas dit que l’exécution de ces lois doit être à tête chercheuse. Les autorisations de manifester que les partis politiques de l’opposition n’arrivent pas à obtenir même en déclarant bien longtemps avant les délais requis, le collectif 300 + Diaspora l’obtient à Yaoundé en 24 heures chrono, montre en main. C’est ce qui se passe au Cameroun, où on interdit les marches, pour après autoriser les marches contre les marches.
Roland TSAPI