En chaque début de semaine, ils sont nombreux les Camerounais qui sortent de la maison, avec l’espoir que le énième rendez-vous qu’on leur a donné cette semaine sera le bon, parce que depuis des mois ils marchent dans telle ou telle administration pour suivre leur dossier. Cela va de la signature d’un document, au positionnement d’un virement ou de l’émission d’un chèque. Ils sont nombreux qui se rendent chaque matin dans les services de l’émi-Emigration dans l’espoir d’avoir enfin leur passeport ou leur titre de séjour, ceux qui vont au commissariat de leur arrondissement pour espérer pouvoir retirer leur carte d’identité, parce que le récépissé a déjà été prorogé plus de 6 fois.

D’autres se rendent dans les services des bureaux de transport pour savoir ce qu’est devenu leur permis de conduire qu’ils attendent depuis plus de 10 mois, après de multiples rendez-vous. Il n’y a plus d’espace pour mettre le cachet de prorogation sur le document provisoire qui leur avait été délivrés au début. Il y a beaucoup qui s’entendent dire dans les bureaux que «…le dossier est encore en étude, le patron n’a pas encore signé, on attend encore, revenez la semaine prochaine, on va vous appeler, rappelez demain…», et autre formule pour dire que l’on ne peut pas leur rendre satisfaction. Il y a en tout début de semaine, des prestataires des marchés publics qui espèrent enfin, entrer en possession de l’ordre de service ou du bon de commande qui va leur permettre d’établir la facture d’un travail réalisé en urgence il y a deux mois, et pour lequel ils ne peuvent être payés, parce qu’ils ne peuvent pas encore déposer de facture en l’absence de ces documents.
La procédure administrative
Tous sont victimes des lenteurs administratives. Et des exemples, on peut en citer à l’infini. Les Camerounais en souffrent, où qu’ils se trouvent et quel que soit le domaine d’activité. Dans l’administration même, ils ont un terme pour désigner ces lenteurs. Ils l’appellent la procédure administrative. Qui les rattrape eux même de temps en temps. Il est souvent arrivé, que dans les couloirs d’un service public tout soit sombre, parce qu’une ampoule est grillée. Mais pour la remplacer il faut suivre la procédure administrative, synonyme de lenteur, car cela met souvent plus de deux mois. Mais là c’est quand le serpent se mord la queue. La preuve que ces lenteurs administratives sont factices et voulues, c’est que quand l’argent est mis en jeu, cette lenteur s’évanouit comme par enchantement. Officiellement il faut attendre au moins un mois et demi pour avoir un passeport au Cameroun après avoir rempli toutes les formalités, mais il suffit de monnayer pour avoir le même document en 72 h.
Une facture qui traîne, un dossier d’avancement qui tarde à aboutir, il suffit que l’usager délie le porte-monnaie pour que tout aille vite. Cela veut dire qu’il était possible de rendre un service en un temps record, mais la lenteur administrative, déguisée en procédure administrative, n’est en fait qu’un moyen de pression sur les usagers pour les inciter à la corruption. Et le problème perdure, malgré les rappels à l’ordre.
Le gouvernement complice ?
Par instruction numéro 003 du 4 janvier 2001, relative à la rationalisation des délais de traitement des dossiers dans les services publics, le Premier ministre demandait à tous les membres du gouvernement et au gouverneurs, de bien vouloir prendre les mesures nécessaires à l’effet de réglementer au sein de leurs diverses administrations les procédures de traitement des dossiers, en mettant en particulier un accent sur le délai des traitements entre autres. Plus tard, 13 ans après, dans son discours à la nation le 31 décembre 2013, le président Paul Biya a ouvertement condamné ce qu’il appelait lui-même l’inertie ou l’immobilisme de son gouvernement, sans pour autant faire bouger les lignes. Même comme on peut légitimement se demander s’il était lui-même convaincu de ce qu’il dénonçait.

Car depuis lors rien n’a changé. Les dossiers continuent de trainer dans les administrations à cause des fonctionnaires absents sans raison du bureau, allés faire un meeting au village. Personne ne se sent obligé, c’est avec désinvolture qu’on demande à un usager de revenir la semaine prochaine, sans jour ni heure précise, une façon de l’envoyer balader. Ces lenteurs administratives, devenues une religion dans les services publics, font en sorte que rendre service n’est plus la préoccupation majeure. Chacun fait comme il veut, tant que le salaire passe à la fin du mois. La notion de fonctionnaire renvoi finalement à la paresse, à un individu paumé, incompétent, affairiste, déloyal, payé à ne rien faire.
Heureusement qu’il y a ceux qui font correctement leur travail ; mais ils sont si peu nombreux que les effets néfastes des aventuriers ont vite fait de noyer leurs actions salutaires, laissant au final une image populaire négative de la fonction publique. Image qu’il va falloir soigner si l’émergence reste encore une préoccupation du régime.
Roland TSAPI