La justice populaire est devenue le mode d’expression des populations camerounaises. Elles ne ratent plus une occasion pour se défouler sur des biens et des hommes. La fille trouvée morte chez un blanchisseur à Nkomongdo en début du mois de décembre a été une autre occasion.
Les premiers jours du mois de décembre 2019 ont commencé avec des évènements hors du commun dans la ville de Douala, le type d’évènements qui confortent la croyance selon laquelle le mois de décembre est un mois mythique, mystérieux et même le plus meurtrier, malgré la lumière marquée par l’avènement de Jésus Christ le 25 décembre selon les chrétiens.
Un cadavre sous les habits
Le quartier Nkongmondo, dans le deuxième arrondissement de Douala, a été le théâtre des évènements de ce début du dernier mois de l’année. Une fillette de 9 ans portée disparue depuis le 28 novembre, est retrouvée morte le 1er décembre dans un local voisin de là où elle habitait et servant de blanchisserie. Le locataire des lieux serait d’origine malienne, et vit ici depuis près de 15 ans. D’après les parents de la disparue, elle était sortie ce 28 novembre autour de 21h pour faire des urines dans les toilettes situées plutôt à l’extérieur, mais n’est jamais revenue. L’on imagine alors qu’elle aurait été attirée volontairement ou pas dans la boutique du blanchisseur, et le forfait aurait été commis. Et les parents ne voyant pas l’enfant revenir plus tôt se seraient dit qu’elle était chez un voisin, et même chez le blanchisseur pourquoi pas, puisque la familiarité qui existait déjà avait fini par faire tomber tout soupçon. Mais c’est là l’erreur qu’il ne fallait pas faire, de toute évidence. Après la disparition de l’enfant le mercredi au soir, le blanchisseur a lui aussi disparu le vendredi suivant c’est-à-dire deux jours après, et c’est finalement dimanche que sa porte, étrangement restée fermée et derrière laquelle se dégageait déjà des odeurs, est défoncée et que la macabre découverte est faite.
Représailles populaires
6 jours après, il restait introuvable. Les populations se sont rabattues sur son magasin qu’elles ont fait partir en fumée, sans prendre en compte les effets vestimentaires des clients, et ont même prolongé leurs expéditions punitives sur les blanchisseries tenues par d’autres ressortissants maliens, et même le Consulat général du Mali à Douala n’a été épargné que grâce aux forces de sécurité. Le blanchisseur était ainsi le coupable désigné, s’étant lui-même accusé de par sa fuite.
Les réactions que cette découverte a déclenchées au sein de la population, renvoient une fois de plus au visage ce que la société camerounaise est devenue, ou plutôt le type de société qui s’est construite avec le temps. Une société frustrée, gonflée à bloc et qui n’attend que la moindre occasion pour exploser, se venger d’une certaine façon. Parce que le jeune qui vandalise l’espace commerçant du blanchisseur, celui qui sort les habits des clients anonymes ; celui qui se dirige vers une autre boutique supposée appartenir à une autre personne de nationalité camerounaise ou pas, ne connait même pas le blanchisseur accusé, il ne l’a même jamais vu à la limite.
Il ne se venge donc pas de quelqu’un de précis, car ne le connaissant pas, il se venge d’une société dans laquelle il ne trouve pas de travail, où il n’as pas de maison, et n’a aucun espoir si ce ‘est l’illusion de jeux de hasard. Dans cet esprit on arrive rapidement à l’assimilation du crime à une tribu ou une nationalité. Assimilation du crime à une tribu comme ce qui s’est passé à Sangmélima les 10 et 11 octobre 2019, assimilation à une nationalité comme dans le cas d’espèce. Ici le Malien dans la globalité est considéré comme une personne à abattre, représentant désormais l’incarnation du crime organisé.
Généralisation dangereuse
Ce qui est simplement dommage, car sans encourager le crime, il faut relever que désormais les réactions de la population camerounaise face à un crime sont encore plus que criminelles. Si l’on n’avait pas encore comptabilisé de mort suite à la vengeance des populations pour ce qui est de ce cas, c’est surtout parce que la force de l’ordre a été obligée de faire usage des gaz lacrymogène pour disperser les foules en furie à Nkongmondo.
Mais par le passé l’on a vu des humains être brulés vifs par la population, suite à un cambriolage. Et si la sanction est si sévère pour un simple vol, l’on peut aisément imaginer ce qu’elle aura été si jamais les populations avaient mis la main sur le tenancier de la blanchisserie. D’ailleurs elles promettent ne pas laisser impuni la perte de cet enfant, et la rancœur s’est davantage renforcée par la nationalité étrangère du présumé auteur du crime. La société est devenue intolérante à l’extrême. Et surtout les populations sont de plus en plus convaincues qu’il revient à elles de se rendre justice, mais l’on sait très bien que la justice ne saurait quitter les tribunaux pour se retrouver dans la rue. Comment éviter dès lors qu’elle ne se radicalise davantage, cette population ?
On ne peut attendre du Gouvernement une solution magique au phénomène de trafic qui conduit au kidnapping des enfants comme c’était le cas à Nkongmondo. Mais l’on s’attend au moins à ce qu’il donne des gages de sa bonne foi et de sa détermination à traquer les auteurs de tels actes jusque dans leurs derniers retranchements. L’on s’attend à ce que le gouvernement aille au-delà des formules classiques du genre « l’enquête a été ouverte », pour démanteler et mettre à nue ces réseaux de trafics d’enfants et d’organes, l’on s’attend à ce que le gouvernement fasse montre de compassion, même feinte, face à la douleur d’une famille qui voit son enfant disparaître de la sorte à la fleur de l’âge. Le sujet est aussi important, sinon plus important que les résolutions prises sur le Cameroun par des institutions et puissances étrangères, et qui provoquent des conférences conjointes des ministres de la Communication et de l’Administration territoriale.
Les membres du gouvernement peuvent aussi faire des sorties pour s’indigner de la recrudescence de ce phénomène, et proférer également des menaces vis-à-vis de ceux qui le perpétuent. Au-delà, le gouvernement devrait rassurer les populations, qu’elles n’ont plus besoin de se rendre justice, parce qu’en définitive, dans un état de droit, force doit revenir à la loi, et surtout quand elle connait la même application pour tous.
Roland TSAPI