45 ans de carrière, 45 ans dans l’ombre. Si son nom est peu connu des jeunes mélomanes de la musique camerounaise, les artistes connaissent bien Jeannot Ekwalla. Il est d’ailleurs appelé, à raison, le faiseur des artistes. Auteur-compositeur, Jeannot Ekwalla a écrit et composé des chansons pour plusieurs chanteurs. 63 ans ont beau peser sur ses épaules, il continue avec fierté son métier. Hélas ! Jamais son pays n’a encore pensé à l’honorer. Ce baron de la musique camerounaise a reçu www.lavoixdukoat.com dans son domicile à Ecole publique Deido ce jeudi 6 juillet 2017. Dans cet entretien, il parle de l’ingratitude de certains artistes, du mal être de l’artiste au Cameroun, des droits d’auteurs, de la double nationalité… Bonne lecture !
D’où vous vient l’amour pour la musique ?
Je suis fils de chanteur. Mon papa, Stéphane Ekwalla avait un harmonium à la maison et j’aimais m’amuser en jouant avec. C’est ainsi que j’ai commencé à avoir le goût pour la musique
Pour combien d’artistes avez-vous composé et écrit des chansons ?
C’est difficile de dire, ils sont nombreux. Il y a par exemple Mbangue Show, Pierre De Moussy, Henri Njoh, Nicole Mara, Marole Tchamba, Grace Kama, Sergeo Polo. Mais pour vous dire la vérité, peu viennent me voir pour prendre des nouvelles. Très peu sont reconnaissants, je ne peux pas mentir à mon cœur. Ma fille Marole Tchamba passe toujours me saluer quand elle est au Cameroun. Elle arrive, on devise. Elle me respecte beaucoup. C’est le geste qui compte. Rien que cette visite me réjouit. Quelqu’un m’a dit un jour ‘‘Jeannot j’arrive au Cameroun. Je vais laisser ma voiture à l’aéroport et on utilisera la tienne’’. Il était surpris de savoir que je n’ai même pas un vélo. Les gens me connaissent de nom. J’ai beaucoup travaillé avec Richard Bona, Ngoye Djeka à la Crtv. Eux aussi viennent souvent me voir.
Comment se passe la collaboration ?
Je ne marche pas beaucoup. Je reste chez moi, je compose les chansons en pianotant mon piano. Je ne vais pas chez les gens. Je peux quand même suivre un jeune dans un cabaret qui chante bien et je lui propose une chanson. Quelqu’un m’a dit un jour, ‘‘Jeannot Ekwalla tu dois être un homme très riche, tu vends beaucoup de chansons’’. Je lui ai dit que je ne vends pas de chansons. J’écris des chansons que je donne aux gens et ils doivent reconnaitre que je suis auteur-compositeur. Si quelqu’un peut me filer quelque chose, même un petit billet de 1000 Fcfa, je n’aurai pas de problème. C’est le geste qui compte.
Pourquoi votre inspiration ne tarit pas malgré les années ?
Je dirai que mon inspiration est un don. Je ne prends pas beaucoup de temps pour écrire une chanson. En dehors du don, il y a le travail. Je passe tout mon temps à écrire les chansons. Si vous allez derrière là, j’ai une cabane où je passe mon temps à écrire les chansons. Un bon compositeur doit être dans un endroit calme.
Votre amour pour la musique a-t-il été payant ?
Non. Mais comme c’est Dieu qui m’a donné cette intelligence je ne suis pas fâché. J’aime donner, j’aime être avec les autres, mais il faudrait que ces autres sachent que ce métier est un travail. Qu’ils soient aussi reconnaissants parce qu’on ne peut pas faire à tout le temps. A un moment on en aura mare mais je continue à écrire les chansons pour les autres. Je n’attends pas grand-chose.
Des artistes ont été décorés pour des chansons que vous avez écrites mais vous, vous n’avez jamais reçu de distinctions de votre pays…
Non, je n’ai jamais été décoré. Je vais vous dire quelque chose. Richard Bona avait été appelé pour être décoré ici et il a refusé en disant qu’il y a «des gens qui doivent être décorés au Cameroun, commencez par eux. Je suis loin aux Etats-Unis». Deux ou trois semaines après il m’a appelé pour me dire son indignation.
Est-ce que les réalités seraient différentes si Jeannot Ekwalla prenait le micro ?
Il faut être honnête et franc. Je ne suis pas un chanteur. Parfois au cabaret je m’amuse à chanter mais je n’ai pas une bonne voix. Ce n’est pas mon truc, je ne suis pas fait pour ça. C’est Dieu qui m’a fabriqué ainsi mais si c’est pour les chansons, j’écris énormément. J’en ai plein de différents styles, zook, slow, makossa… Il y a des artistes qui sont complexés, qui refusent de dire que c’est Jeannot Ekwalla qui a écrit telle chanson. C’est un faux complexe. Jean-Jacques Goldman a écrit pour beaucoup d’artistes et tous le reconnaissent. Ici chez nous on ne veut pas dire que c’est Jeannot Ekwalla qui a composé. C’est difficile et ce n’est pas normal. Il faut savoir reconnaitre la valeur de l’autre. C’est pour ça que je dis que je ne suis pas chanteur, mais je ne suis pas fâché pour autant. Il y en a qui s’obstinent à chanter alors qu’ils savent qu’ils n’ont pas une bonne voix. Je dis que là c’est se moquer de la musique parce qu’il faut donner la valeur à ce métier. Il faut avoir une belle voix, savoir chanter pour le faire. Quelqu’un a la voix de crapaud mais il chante. C’est justement par amour pour la musique que je ne chante pas.
Au sujet de l’épineuse question des droits d’auteurs, êtes-vous pour la fusion ou pour la création d’une nouvelle société ?
Je ne mâche pas mes mots. Ce n’est pas normal de faire la fusion, ça n’a même pas de sens parce qu’il y avait la Cameroon music corporation (Cmc) créée par Manu Dibango et non Sam Mbende, puis la y a eu des problèmes. La Socam est arrivée. Elle faisait des répartitions, mais c’était une société illégale. Après ça n’a plus marché. J’ai même appris qu’Odile Ngaska a fui avec beaucoup d’argent. Je propose la création d’une nouvelle société par les artistes, et un nouveau Pca. Mais nous les artistes avons un problème de personne. Il y aura toujours des camps. Je préfère que l’Etat crée et ait un droit de regard sur cette société, pas droit d’ingérence. Qu’on laisse les artistes gérer leur société. C’est une société civile. Quelqu’un comme Sam a beaucoup d’expérience mais malheureusement il y a beaucoup de camps. S’il dit que les jeunes peuvent prendre le relais, je suis d’accord. A l’époque on avait élu de manière transparente Ndedi Eyango, mais c’est le problème de la double nationalité qui l’a fauché.
Est-ce qu’on doit reprocher à un artiste sa double nationalité ?
Non, on ne devrait pas. Un artiste c’est quelqu’un qui voyage beaucoup et la double nationalité n’est pas une mauvaise chose, au contraire. Ce n’est pas normal quand on dit que celui qui a une double nationalité perd sa nationalité camerounaise. C’est même le Cameroun qui gagne avec la double nationalité.
Que pensez-vous de la musique camerounaise aujourd’hui ?
Au temps du président Ahidjo il y avait la censure. On interdisait les chansons aux paroles obscènes. C’est décourageant pour nous qui écrivons les chansons. Chacun a son style. Je ne condamne pas ces jeunes, peut-être que la musique obscène est leur style mais ça ne devrait pas se passer dans un grand pays comme le Cameroun. J’aurai préféré que le gouvernement rétablisse la censure. Si on le fait vous verrez que la musique va évoluer. Lady Ponce avait dit un jour qu’elle chante ce genre de chanson parce que c’est ce qui passe. Pour combien de temps justement ? Je suis chrétien, mes parents aussi. Ma mère est couchée dans sa chambre. Si je chante ce genre de musique mes parents vont me chasser. J’ai même écrit des chansons chrétiennes.
De plus en plus des artistes dénoncent l’influence négative de Trace Tv sur la musique camerounaise…
C’est un problème terrible. Ce sont ces chansons que les enfants reprennent partout. Soyons sérieux quand même. J’ai appris dernièrement que le sous-préfet de Douala V a interdit un spectacle dans son territoire. C’est une forme de censure et c’est à encourager. Si on ne fait pas la censure, ça sera pire et nous serons toujours derrière. On n’aura plus l’occasion de sortir de belles chansons. Le gouvernement devrait remettre sur pied une censure. C’est très important
Quel est votre plus beau souvenir depuis que vous avez commencé ce métier ?
Mon plus beau souvenir remonte à l’époque où je jouais aux côtés de Fela Ramson au Nigéria. J’étais jeune et je jouais avec ce très grand. J’étais le vice-chef d’orchestre. Le chef d’orchestre était un Nigérian. Il y avait aussi un Ghanéen. Fela Ramson voyait comment je m’appliquais à faire comme lui et il était content. Il aimait le travail. Il m’a beaucoup formé, malheureusement il s’en est allé. Mon plus beau souvenir c’est au Nigéria.
Votre pire souvenir…
Au Cameroun. Les artistes ne sont pas bien rémunérés au Cameroun. J’ai reçu les droits d’auteurs, mais je n’ai jamais touché les droits voisins, peut-être parce que je n’avais pas fait mon dossier. Au Cameroun on ne connaît pas les valeurs. Il y a trop de problèmes. Il y a aussi des égaux pourtant chacun a sa place dans ce métier. Il y a des auteurs, des compositeurs, des chanteurs. Peut-être que je m’en irai avant, mais si la situation des artistes changent avant, peut-être qu’on me connaîtra mieux. Je me rappelle une fois, j’ai eu le trophée de meilleur compositeur par les Balafon Awards. Plusieurs personnes de celles que j’avais invitées pour célébrer cette récompense étaient surprises. Ils croyaient que je n’étais pas au Cameroun. Un artiste ne va pas en retraite. Tant qu’il a temps de composer il le fait. Anne-Marie Nzié a chanté jusqu’à sa mort.
Entretien avec Valgadine TONGA