Alors que la population camerounaise suffoque face à une inflation à n’en point finir, le Fmi impose l’Irpp avec des contraventions à la clé. Entre temps, ça fait 28 ans qu’on attend l’entrée en vigueur de la loi sur la déclaration des biens.
Depuis l’ouverture de la session parlementaire de novembre 2024, l’impôt sur le revenu des personnes physiques (Irpp) est sur toutes les lèvres. Pas que l’Irpp fait beau. Au contraire, il craint pour le Camerounais lambda qui a la peur au ventre à chaque session parlementaire, redoutant ce qui sera encore voter pour l’accabler, peu importe le domaine d’activités. Quand on voit que sur le plan économique, le pays axe ses efforts sur les impôts, ce n’est point rassurant. Expert en fiscalité, expert formateur certifié Onudi en diagnostic et mise à niveau des entreprises, Dr Jean-Marie Biada confie de prime abord à La Voix Du Koat que « l’impôt sur le revenu des personnes physiques a toujours existé chez nous. Jusqu’en 2002, il y a eu une réforme imposée par le Fonds Monétaire International (Fmi), car c’est par ladite réforme qu’on pouvait aider le Cameroun qui venait d’atteindre, deux ans plutôt, le point d’achèvement structurel. On a donc engagé cette réforme face à laquelle le Cameroun ne pouvait rien. Ses mains étaient liées. On a re-charcuté, remis en lambeaux la fiscalité des salaires. A l’époque il y avait ce qu’on appelait la surtaxe progressive qui était très faible pour les personnes mariées. C’était un impôt institué pour inciter les gens à se marier et à peupler le Cameroun. Malheureusement, le Fmi l’a tellement mal compris qu’il a demandé que le Cameroun arrête cette taxe. »
En 2023, on a réintroduit dans la Loi des Finances de l’exercice 2024, Irpp. « On a trois familles d’impôts au Cameroun : la famille des impôts sur la consommation, la famille des impôts sur l’activité et la famille des impôts sur le revenu. On avait introduit Irpp dans la famille des impôts sur le revenu, et là, on est en train de le démultiplier pour qu’il joue en même temps le rôle d’impôt sur l’activité et celui sur le revenu. L’avantage c’est que tout le monde va passer à la caisse, ce qui va contribuer à l’augmentation de la démographie fiscale de la taille des contribuables. Si beaucoup de personnes se livrent à la déclaration des biens Rpp, on va se retrouver avec une démographie fiscale qui va se multiplier par 2,3,4 voire 5. On était à 248.000 personnes qu’on pourrait considérer comme contribuables. C’est faible. Il faudrait aussi dire que le fait que tu déclares ne veut pas dire que tu paies, puisque tu as déjà payé d’autres impôts ailleurs. Tu vas juste dire ce que tu as supporté ailleurs et on fait le solde. S’il est créditeur, ça veut dire que tu bénéficie d’un crédit d’impôt et s’il est débiteur, ça veut dire que tu pourras payer le solde que tu as déclaré. »
Trop d’impôts tuent l’impôt
Le côté pervers de l’Irpp est qu’il n’aide pas vraiment ni le Cameroun, ni le simple Camerounais, qui est pressé plus qu’une orange. « C’est le visage redoutable du Fonds monétaire international. C’est lui qui est à l’œuvre. Nous avons le Fmi dans nos murs depuis 2017 et depuis lors, la politique économique du pays n’est plus une initiative souveraine des pouvoirs publics. C’est une initiative partagée entre les pouvoirs publics et le Fmi. Donc c’est l’œuvre du Fmi que nous subissons. Il était question l’année dernière, selon la loi, que les plus riches payent plus par rapport au paquet de millions qu’ils gagnent mensuellement, mais le ministre des Finances est intervenu pour créer une sorte de gel, un sursis à exécution de cette décision pourtant légale », poursuit l’expert.
Lire aussi : Pauvreté : le Cameroun testé positif à la vie chère
Selon Dr Jean-Marie Biada, « cette fiscalisation généralisée à tout-va que le Fmi veut imposer au gouvernement, ne nous permet pas de sortir de l’auberge tout simplement parce qu’on n’est pas en train de travailler. Le Fmi doit mettre plutôt l’accent sur l’industrialisation du pays parce que c’est l’industrialisation qui crée le plus de revenus et on peut fiscaliser ces revenus sans que personne n’ait à rechigner à payer les impôts. Les gens crient aujourd’hui parce que le taux de chômage est très élevé, le niveau de salaire offert par l’Etat est faible et dans le secteur privé, ça ne va pas. Les gens suffoquent avec cette fiscalisation du peu de salaire ou de ressource tirée de l’activité qu’ils mènent. En fait, les gens sont appelés à payer les impôts parce qu’ils chôment. Est-ce que chômer est devenu une activité ? Il faut absolument remettre à flot la Sonara pour que cesse l’inflation sur les transports et les denrées alimentaires, et pousser la Sonamine à produire. »
Lire aussi :Cameroun : Paul Biya nomme un jeune de 39 ans DG de la Sonamines
Quid de la déclaration des biens ?
Contenu dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, la déclaration des biens tant acclamée par les Camerounais reste un mirage, 28 ans après. En avril 2006, l’Etat a pris la loi du 26 avril 2006, portant déclaration des biens et des avoirs et l’article 6 précise à propos que la déclaration des biens et des avoirs se fait devant la Comité nationale de déclarations des biens et des avoirs. « On attend seulement que le Chef de l’Etat prenne un décret portant organisation et fonctionnement du Comité national des biens et des avoirs. Qu’il nomme les membres. Ainsi, tous ceux qui vont vouloir devenir conseillers municipaux, députés, sénateurs, ambassadeurs, consuls…et tous ceux qui occupent déjà des postes administratifs élevés déclareront leurs biens et avoirs. Si demain matin le Fmi prescrit la déclaration des biens au Cameroun, vous verrez que ça se fera. N’oubliez pas que c’est le Fmi qui a prescrit l’Irpp. J’ai été quand même content d’entendre le Fmi demander au gouvernement il y a 2 à 3 mois, de remettre à flot la Sonara, pourtant je le dis depuis 6 ans. J’ose espérer que comme le Fmi a commencé à en parler, le gouvernement va s’y atteler, pour faire baisser l’intensité quasi insupportable de l’inflation que nous vivons depuis ces quatre dernières années. L’inflation a atteint des niveaux records ces deux dernières années ». Si hélas le Fmi est devenu ce mal nécessaire, alors qu’il tousse, pour que notre gouvernement s’exécute et travaille à industrialiser le pays et non à asphyxier de sa population.
Valgadine TONGA
Cas du Ghana et du Burkina Faso…
« Prenez le Ghana. En 2023, il a produit 123tonnes d’or, soit environ 6000milliards Fcfa qui représentent au moins 80% du Budget du Cameroun. Et le Ghana vous faisait 800tonnes de cacao l’an, soit 4000milliards Fcfa. Voilà un pays qui a axé ses efforts sur l’or et le cacao, et ça lui permet d’avoir 12.000milliards Fcfa, c’est-à-dire le stock de la dette du Cameroun. Le Cameroun, au 30 septembre 2024 avait un stock de dette évalué par la Caisse autonome d’amortissement à 13.504milliards Fcfa, donc le Fmi doit aider le Cameroun à faire en sorte que la Sonamine produise, pourquoi pas, 200tonnes. Un pays comme le Burkina Faso qui n’a pas autant de ressources comme le Cameroun, envisage de raffiner 400tonnes d’or à l’année, d’ici trois à quatre ans. Le Ghana projette également produire 400tonnes d’or. Le Cameroun doit industrialiser son économie », dixit Dr Jean Marie Biada, expert en fiscalité, expert formateur certifié Onudi en diagnostic et mise à niveau des entreprises.