Les membres du gouvernement de Dion Ngute, nommés le 4 janvier 2019 et installés 3 jours plus tard, confortent désormais leurs emprises sur leurs départements ministériels pour les anciens, et prennent progressivement connaissance pour les nouveaux. Comme souvent remarqué par le passé, il y a parmi eux ceux qui ne prennent pas la fonction comme un honneur et une occasion pour exercer le pouvoir et prendre leur revanche sur les adversaires politiques, mais qui considèrent leur entrée comme une mission qu’ils ont désormais la lourde responsabilité d’accomplir. Dans cette catégorie se trouve la nouvelle ministre en charge de l’Habitat et du développement urbain, Célestine Ketcha Courtes. Pendant que d’autres ministres réfléchissaient aux méga meetings à faire dans leurs villages pour remercier le président, elle est déjà sur le terrain, pour constater à quel point les délégués du gouvernement ont laissé pourrir les villes camerounaises, Yaoundé en tête.
Etat des lieux : les villes dans l’abime
Proximité oblige, elle est dans les rues de la capitale depuis deux semaines. Et il ne lui a pas fallu beaucoup de distance pour voir de ses propres yeux ce qui est décrié depuis des années. Les chaussées occupées par les vendeurs à la sauvette, les motos taxi qui envahissent les carrefours, les trottoirs assiégés par les kiosques et autres tables de commerce, les caniveaux bouchés, les eaux usées qui ruissellent sur les chaussées, le mauvais état des routes entre autres. Bref, Célestine Ketcha est désormais certaine, s’il y avait encore des doutes, que la mobilité urbaine de Yaoundé est au point mort, et surtout que les embouteillages qu’on rencontre dans la ville peuvent être résorbés si chacun faisait son travail : les magistrats municipaux, la police et les populations elles-mêmes.

A ces dernières, la ministre a de manière constante rappelé qu’elles doivent elles aussi œuvrer à la facilitation de la mobilité en réduisant les embouteillages, à l’origine entre autres, de la perte énorme de temps et de la pollution. Et en guise de début de solution, elle les a conviés à des rencontres programmées le samedi 19 janvier 2019 dans son Cabinet. Pour être plus concrète, la ministre a également fait venir de la mairie de Bangangté dont elle assurait l’exécutif jusqu’au 4 janvier, des camions curateurs qui ont procédé à la vidange des fosses de canalisation dans la matinée de samedi 19 janvier. Des actions d’éclats qui attirent désormais des félicitations et des encouragements, mais aussi de grincements de dents pour les adeptes du statut quo.
Des actions qui confirment également au moins deux réalités : d’abord que nos villes sont salles, polluantes et étouffantes, ensuite que les délégués du gouvernement ont d’autres préoccupations que la gestion saine des villes, qu’ils ont la responsabilité de rendre attrayante à tout point. Lire aussi :Célestine Ketcha Courtes : de madame le maire à madame le ministre
Ministère de la ville : 18 ans d’inefficacité
D’abord, pour les villes qui se dégradent, le problème semble être devenu une préoccupation depuis l’année 2000, avec la création d’un ministère de la Ville. Les missions assignées à ce département ministériel consistaient entre autres en l’élaboration et à la mise en œuvre des stratégies d’amélioration de la circulation dans les grands centres urbains, de même que leur embellissement, en liaison avec les Départements Ministériels et les Collectivités Territoriales Décentralisées concernés. Ce ministère a fusionné en 2012 avec celui de l’habitat, à la faveur du décret 2012/384 du 14 septembre 2012 pour devenir ministère de l’Habitat et du développement urbain, en abrégé Minhdu. Il a été dirigé dès la création successivement par Joseph Claude Mbafou, Lekene Ndonfack, Claubert Tchatat et Jean Claude Mbwentchou, à qui Célestine Courtès a succédé. Le problème de nos villes n’a pour autant pas été résolu, en 18 ans d’existence d’un ministère en charge, alors qu’à côté de ces missions dévolue au ministère, beaucoup d’autres sont également dévolues au Communautés urbaine et aux communes. Année après année, les villes rentrent plutôt dans l’abîme.
Les Communautés urbaines à bout du souffle
Ensuite pour les missions des délégués du gouvernement, et pour le cas de la Communauté urbaine de Yaoundé, des questions sérieuses se posent pour ce qui est des priorités. Si la ministre est allée à plus de 240 km de Yaoundé chercher un camion curateur, est-ce à dire qu’il n’en existe pas un à la Communauté urbaine de Yaoundé ? Si oui pourquoi c’est la ministre qui viendrait indiquer ce à quoi il devrait servir ? Sinon pourquoi, alors que chaque année les budgets des communautés urbaines s’évaluent en termes de dizaines de milliards ? L’une des missions du Minduh est d’après l’organigramme, le suivi du respect des normes en matière d’hygiène et de salubrité, d’enlèvement et/ou de traitement des ordures ménagères.
La mise en œuvre de ces actions devant être assurée par les Communautés urbaines et les communes. Que la ministre se retrouve elle-même à curer les caniveaux, les autorités de la ville devraient se poser des questions. Est-ce du village que l’on devrait venir faire la propreté en ville finalement ? Dans ce cas, il faudrait simplement que ceux qui sont en ville rentrent au village et vice versa. Est-ce de l’immeuble que l’on devrait descendre balayer la cour, alors qu’au rez-de-chaussée il y a des services pour cela ? Dans ce cas pourquoi ne pas supprimer ces services au rez-de-chaussée pour faire des économies ?
Au demeurant, les actions d’éclat de la nouvelle ministre sont à saluer, mais il y a des craintes qu’elle ne se heurte très vite au mur d’un système froid et inerte, caractérisé par une administration lourde et déconcertante. Le même système dans lequel beaucoup avant elle sont rentrés avec autant d’enthousiasme sinon plus, mais qui ont déchanté juste quelques mois plus tard. Alfred de Musset disait : « Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux », espérons que Célestine Courtès ne connaîtra pas cela.
Roland TSAPI