Mères adolescentes, filles mères, maman chez eux, autant d’appellations pour désigner nos sœurs qui ont fait des enfants sans être mariés, et vivant encore ou pas sous le toit familial.

Aucune famille, ou presque, dans notre pays n’est à l’abri du phénomène, et il existe même des familles où toutes les filles ont accouché à la maison, et la désormais grand-mère se retrouve souvent avec une maternité dans son salon. Faisons d’abord la différence entre filles mères, et mères adolescentes. Entre 11 et 19 ans, celle qui a accouché est considérée comme une mère adolescente, alors que la fille mère désigne toute femme célibataire qui accouche sans être mariée, même si elle a un âge assez avancé.
Pour ce qui est des mères adolescentes, l’attitude de la société vis à vis d’elles varie énormément selon les cultures, les religions, les traditions mais aussi le milieu social. Au Cameroun, selon que l’on est musulman ou chrétien, originaire du Grand Nord au du Sud, la conception est différente. La mère adolescente est donc à différencier des filles victimes des mariages précoces, qui constituent tout un autre sujet. D’ailleurs, 17% de filles se marient avant 15 ans dans la région de l’Adamaoua, d’après les statistiques indiquées par les autorités administratives à l’occasion de la journée africaine de l’enfant célébrée le 16 juin dernier. En dehors des mariages précoces donc, les filles mères sont culturellement acceptées et même encouragées dans certaines régions du pays, même comme il est difficile de dire que cette tolérance s’applique aux enfants de moins de 15 ans. Dans certaines cultures disions-nous, accoucher chez ses parents est pour une fille, preuve de fécondité, qui persuade les éventuels prétendants sur la possibilité de procréation de la future femme. D’autres cultures par contre condamnent avec la dernière énergie ce phénomène, et pour certaines familles c’est une honte et un déshonneur que d’avoir une fille à la maison qui tombe enceinte. Si cela arrivait, la fille est obligée d’aller épouser le géniteur, sans aucune autre forme de procès. Ils sont nombreux des couples qui ont été imposés par une grossesse, même si les deux parents n’y avaient pas pensé avant.
Une fille sur quatre est déjà mère avant l’âge de 18 ans
Mais au-delà du clivage culturel, le phénomène reste une préoccupation permanente pour les instances nationales et internationales. Selon l’Institut national de la statistique, le niveau de fécondité est élevé chez les adolescentes, et une fille sur quatre est déjà mère avant l’âge de 18 ans. Dans sa publication intitulée « L’adolescence : une étape capitale » en 2002, l’organisation des nations unis pour l’enfance, (Unicef) révélait d’ailleurs qu’un enfant sur dix naît d’une mère adolescente. Si le phénomène préoccupe, c’est parce qu’il est en réalité en déviation avec certaines normes. D’après une étude de l’anthropologue Belge Alice Lefebvre datant de 2007, si les filles mères sont nombreuses, elles ne font néanmoins pas partie de la vie normale, ordonnée et souhaitée par la société. La norme, ce qui est valorisé, c’est le mariage. Traditionnellement, la fille mère n’existe pas, on passe de fille à femme, c’est à dire de fille célibataire, sans enfant, vivant dans la cour de son père, à femme mariée dans la cour de son mari, et qui peut ensuite avoir des enfants.
La fille mère n’est ni l’une ni l’autre. Inclassable, elle dérange. Elle représente un désordre qui nécessite une remise en ordre par certains rites traditionnels. La situation est plus ou moins perturbatrice de l’ordre social selon que l’auteur présumé de la grossesse reconnaisse celle-ci ou pas, que la fille soit abandonnée par l’auteur de la grossesse ou pas, que les deux géniteurs planifiaient de se marier ou pas, et bien d’autres facteurs. En fonction de ces différents éléments, les filles mères se retrouvent dans des situations de vulnérabilité plus ou moins importante. Traditionnellement, une fille mère est chassée de la cour paternelle car elle ne peut pas y accoucher. Un enfant appartient au lignage de son père et doit donc résider dans sa cour. La fille est gâtée et par là, gâte toute la famille. Elle n’a plus de statut et est donc exclue physiquement. Mais si elles ne sont plus ouvertement conspuées de nos jours, c’est parce qu’elles bénéficient d’une tolérance sociale, qui leur trouve des circonstances atténuantes. La société a plus ou moins trouvé des explications au phénomène des filles mères, explications sur lesquelles nous reviendront.
Roland TSAPI, Journaliste