Le destin du Cameroun s’est joué avant les indépendances avec des acteurs comme John Ngu Foncha, finalement mort presque dans l’oubli, alors qu’il avait pourtant joué un rôle déterminant dans la construction d’une nation forte. Mais son combat a été dévoyé par la mauvaise foi qu’il a rencontrée en face.
Le Cameroun dans son régime actuel est dirigé par un président de la République, mais très peu savent que jusqu’en 1970, le président était secondé par un vice-président, lui aussi élu. La première et unique personnalité à avoir occupé ce poste s’appelait John Ngu Foncha, présenté comme le véritable artisan de l’unification des deux Cameroun, mais déçu par la politique qui a par la suite été menée par Ahmadou Ahidjo d’abord et Paul Biya ensuite. Dans son parcours politique, John Ngu Foncha a à chaque fois manifesté son mécontentement en rendant son tablier chaque fois qu’il avait le sentiment que le bien-être des populations et de la nation n’était plus une priorité.
Jeunesse militante
Né le 21 juin 1916 dans le village Nkwen à Bamenda, il commence les classes à l’école primaire de Bamenda, qui le conduisent plus tard au Bamenda Government scholl. Il traverse la frontière par la suite et se retrouve au Nigéria, à Saint Michael’s College Onitsha et à l’Agricultural teachers course. Agé d’une vingtaine d’années à son retour, il entame la carrière d’enseignant à Bamenda, et devient très vite membre du Syndicat des enseignants catholiques de Bamenda et président de la section Bamenda du Syndicat nigérian des professeurs.
Entre le syndicalisme et la politique à cette époque, il existe juste une fine démarcation que le jeune John Ngu Foncha n’avait pas hésité à franchir. Dès 1953, après avoir fait ses preuves dans le militantisme, il devient le coordonnateur de la section Bamenda du parti dénommé Kamerun national Congress créé par Emmanuel Mbela Lifafe Endeley à Buea. Deux ans après, suite à des mésententes, il quitte ce parti et fonde avec Augustine Ngom Jua une autre formation politique, le Kamerun national democratic party (Kndp), avec laquelle il s’impose rapidement au Southern Cameroun, avec une majorité écrasante des sièges au Parlement du Cameroun britannique, 28 sièges sur les 37 disponibles en 1961.
Combat pour la réunification
Dans les négociations pour l’intégration du Cameroun britannique au Nigéria ou au Cameroun, il prend parti pour l’intégration au Cameroun, et bat campagne dans ce sens lors du référendum de février 1961. Après la victoire du « oui » dans le Southern Cameroon en faveur de la réunification avec le Cameroun oriental, il conduit légitiment la délégation du Southern Cameroon à la conférence de Foumban en juillet 1961, où seront scellés les accords pour la réunification. D’après les archives, il oppose un « non » catégorique aux intentions d’Amadou Ahidjo d’effacer complètement les frontières entre les deux entités et ne faire qu’un seul Etat uni, et au sortir de la Conférence, une Constitution fédérale est adoptée. John Ngu Foncha qui est Premier ministre de l’Etat fédéré du Cameroun occidental depuis 1959, devient également vice-président de l’Etat fédéral.
Victime de ses convictions
Mais sa rectitude et sa rigueur ne sont pas pour faciliter une cohabitation honnête entre les deux hommes à la tête de l’Etat fédéral, surtout que les Français continuent de tirer les ficelles de l’autre côté et mettent tout en œuvre pour absorber l’Etat du Southern Cameroun. Il n’est pas bien vu par les colons français dont l’ambition est de contrôler aussi le sous-sol de ce côté, qui savent que si le Cameroun devient un Etat uni, le pacte colonial qui donne le droit du sol et du sous-sol aux Français dans le Cameroun oriental, va s’appliquer désormais dans tout le pays. Les colons n’hésitent pas à susciter la méfiance entre les deux hommes, surtout que les militants de l’Upc bannis au Cameroun Oriental, trouvent refuge chez John Ngu Foncha au Cameroun occidental. Ahidjo et les Français, sans le dire ouvertement, le considèrent désormais comme un complice de leurs ennemis, donc leur ennemi.
Le 23 juin 1963, il échappe à un attentat dans la localité de Bafang, et sera persuadé que celui-ci a été organisé par des éléments des Forces armées camerounaises dans le cadre des luttes de pouvoir inhérentes au camp gouvernemental. La nouvelle de l’attentat est censurée, aussi bien dans la presse écrite qu’à la radio. En 1965, il quitte le poste de Premier ministre dans le Cameroun Occidental au profit de son membre du parti, Augustine Gom Jua, pour se consacrer au meilleur suivi des accords de réunification qu’il a signés au nom du peuple du Southern Cameroon, surtout qu’il flaire désormais le louche dans les attitudes du président Ahidjo.
Mis à l’étroit
La dissolution de tous les partis politiques en 1966 le conforte dans cette position. Ahidjo absorbe toutes les formations politiques, y compris le Kndp de Foncha dans l’Union nationale Camerounaise (Unc) qui devient le parti unique, dans lequel il doit se consoler avec le poste de vice-président du bureau politique. A partir de ce moment-là il n’a plus beaucoup de marge de manœuvre. Il vient de laisser le poste de Premier ministre du Southern Cameroon, son parti est absorbé, la réunification n’est pas ce qu’il avait souhaité. Pire, le poste de vice-président de la république fédéral qu’il occupait est simplement dissout en 1970, et c’est presqu’en spectateur qu’il assistera en 1972 à l’absorption complète de l’Etat fédéré du Cameroun occidental, au sein de l’entité désormais appelée République Unie du Cameroun. Il est désormais gardé dans le parti pour la forme, ses rêves de voir un Cameroun grand et solide ont été dévoyés. Des écrits font état de ce que très déçu, il se rapproche à partir des années 70-80 des mouvements sécessionnistes qui prônent un Etat indépendant, se reprochant presque d’avoir livré son peuple.
Amertume et fin de vie
Le 17 décembre 1979 il est rappelé aux affaires pour occuper le poste de grand chancelier des ordres nationaux avec rang de ministre. Quand Ahidjo passe le pouvoir à Paul Biya en 1982, son combat reste le même, celui de la justice. Mais son sort n’est pas différent. C’est ainsi que le 26 mai 1990, lorsque la police tire sur les manifestants qui réclament le retour au multipartisme à Bamenda, il est profondément déçu et dégouté, ce qui le pousse à démissionner de ses fonctions de premier vice-président du Comité central du Rdpc deux semaines plus tard. Dans sa lettre de démission, il dénonçait le caractère figuratif du poste de vice-président du parti, du fait qu’il n’a jamais rencontré le président du parti malgré de multiples demandes d’audience, et donc est étranger à la politique que le parti définie pour la nation, l’absence de réponse à ses multiples mémorandum, le détournement des projets comme le port en eau profonde de Limbé, la dégradation des infrastructures routières et économiques dans les régions anglophones, la manipulation de la Constitution et autres.
C’est dans cette posture d’homme politique déçu, que dans ses derniers jours il s’est battu pour essayer de réparer ce qui est désormais apparu pour lui comme une erreur, à savoir l’unification du Cameroun. Ses combats de 40 ans de carrière politique ont buté sur un mur d’incompréhension et d’égoïsme, et c’est avec le cœur lourd qu’il conduisit en 1994 une délégation du Conseil national du Sud Cameroun aux Nations Unis pour demander plus d’autonomie pour les régions anglophones. Ce combat, il l’a finalement emporté avec lui au soir du 10 avril 1999, laissant derrière lui un pays qui aujourd’hui encore, est loin d’être cette grande nation qu’il a visualisée dans ses rêves.
Roland TSAPI