Pendant que les populations continuent de ployer sous le poids de la misère, avec un difficile accès aux soins de santé et des services de base comme l’eau et l’électricité, au sommet de l’Etat et dans les instances dirigeantes on ne se gêne pas pour des dépenses les plus folles.
Le 20 décembre 2019, près de 200 malades d’insuffisance rénale, dans un mouvement d’humeur, ont bloqué l’entrée de la plus prestigieuse institution hospitalière de la capitale politique Camerounaise, l’hôpital général de Yaoundé. Ils dénonçaient la rupture de stocks de dialyse. D’après leurs récits, ils payent 475 000 francs par mois, ce qui leur donne droit à trois séances de dialyse par semaine, mais jusque-là ils ne pouvaient avoir que deux, ce qui était déjà un problème. Mais en plus de cela, on était arrivé à la rupture totale. A ces ruptures de stocks des kits, il faut ajouter le nombre des appareils de dialyse, jugé insuffisant par les malades qui se comptent par centaine, pour 20 appareils disponibles selon eux. La conséquence de cette rupture est bien entendu la mort précipitée de certains malades qui ne peuvent supporter de ne pas avoir le traitement.
Un jour avant cela, le 19 décembre 2019, Energy of Cameroun, l’entreprise en charge de la distribution du courant électrique, a rendu public un communiqué à propos de la fourniture approximative du service électrique en cette fin d’année. L’entreprise exprimait à ses clients ses regrets pour les désagréments causés par les coupures des dernières semaines. Elle expliquait surtout que « l’origine de cette situation est la crise aigüe de liquidité qui crée un déséquilibre dans le secteur en général. La conséquence la plus visible se traduit par des difficultés dans l’approvisionnement en fuel des centrales thermiques, entrainant des rationnements dans le réseau interconnecté Sud. » En français facile, les coupures que connaissent les populations sont dus au fait qu’Enéo n’a plus d’argent pour payer le gazole nécessaire à faire tourner les groupes qui qui génèrent l’électricité dans les centrales thermiques, ce qui l’oblige à faire des économies par le rationnement, c’est-à-dire en coupant l’électricité dans un quartier pour alimenter l’autre et ainsi de suite.
Misère ambiante
Mais à qui Enéo dit-elle qu’elle n’a plus d’argent ? Pas au client lambda en tout cas. Le communiqué public est en réalité un message en direction de l’Etat. A la fin du premier semestre de l’année 2019, le futur ancien directeur général Joël Nana Kontchou, adressait une lettre interne à ses directeurs, faisant état de ce qu’au cours de la moitié qui venait de se terminer, la situation financière s’était fortement dégradée. Il pointait du doigt entre autres les recouvrements des créances en baisse drastique, du fait de l’accumulation des créances sur les sociétés à capitaux publics et l’Etat. D’après le journal économique en ligne investiraucameroun.com, cette dette réclamée à l’Etat et à ses démembrements tournait autour de 100 milliards de Fcfa.
Encore que parler de coupure d’électricité suppose que l’on connait même ce que c’est. Dans certains coins du pays, au 21eme siècle on ne sait même pas à quoi ressemble la lumière produite par le courant électrique, l’éclairage se fait encore de manière archaïque, les plus chanceux ont des lampes torches qui s’alimentent à l’énergie solaire. Dans ces coins également, les enfants continuent à gratter le sol de leurs doigts pour chercher de l’eau, et quand ils ne trouvent pas ils s’abreuvent simplement dans les mêmes nappes d’eaux que les animaux, ils ne savent pas ce que c’est que l’eau potable. Même dans les villes, l’adduction d’eau reste très insuffisante, et les ménages qui ont la chance d’être connectés au réseau de distribution voient le robinet couler en fonction de l’horoscope, personne ne fait un programme en comptant sur l’eau qui sortira du robinet.
L’éducation maternelle et primaire, obligatoire dans les lois camerounaises, ne l’est pas dans la réalité. Les scènes des élèves assis sous les arbres, à même le sol ou sur des morceaux de bois sont fréquentes au Cameroun. Le tableau est plus sombre que cela dans les faits, pour ceux qui regardent le Cameroun réel et non le Cameroun de surface, de l’apparence. Et ces exemples montrent à suffire que les populations camerounaises sont en cette fin d’année 2019 encore, en incapacité de bénéficier du minimum élémentaire, à savoir l’accès au soin de santé, à l’électricité, à l’eau potable, à l’éducation, faute de financement par l’Etat. Si l’on ajoute à ce tableau la misère désormais installée dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest à cause de la salle guerre, les souffrances des populations du Septentrion encore soumises aux attaques du Boko Haram, il y a de quoi écraser une larme.
L’Etat a plutôt de quoi fêter
La République s’apprête pourtant à fêter, en cette fin d’année. Il est très bien préparé pour cela, et il y a du liquide prévu, ce liquide-là même qu’Eneo réclame comme dette pour continuer à fonctionner. Ce liquide pour festoyer est d’ailleurs la priorité de l’Etat camerounais, avec la bénédiction des députés à l’Assemblée nationale. Par ordonnance 2019 / 001 du 29 mai 2019, le président de la République a modifié le budget de l’exercice 2019, procédant à des coupes des lignes de consommation au profit des lignes d’investissement, mais jusque-là, le budget final à consommer est resté de 1 580 156 000 000 Fcfa, contre 1 311 198 000 000 Fcfa pour l’investissement public. Soit une différence de 268 958 000 000 de plus à consommer.
Avant cette modification, les députés avait prévu dans leur vote un total de 1 666 599 000 000 Fcfa de consommation, contre 1 167 723 000 000 Fcfa d’investissement, soit une différence de 498 876 000 000 Fcfa destinée à la consommation. Comme quoi, au regard de ces chiffres que Paul Biya a eu pitié des populations pour réduire cette enveloppe de consommation. C’est dire que ce n’est pas faute d’argent que les hémodialysés meurent, que l’électricité est coupé tous les jours, que les enfants de la République boivent la même eau que les animaux, que les enfants ne vont pas à l’école ou ne peuvent y aller décemment.
La République a même déjà commencé à fêter, sur la misère du peuple. Dans les artères de certaines grandes villes, les jeux de lumières sont déjà installés sur des routes crevassées ornées par des ordures. Les feux d’artifices se préparent de partout dans le pays à coups de centaines de millions, le 31 décembre de l’alcool va couler à flot dans les résidences officielles des gouvernants lors du réveillon de fin d’année, même si à quelques mètres de là, à l’entrée de l’hôpital, un malade sera en train de mourir faute de dialyse.
Roland TSAPI