Sa vie professionnelle était pour le moins tracée. Après un diplôme d’ingénieur en production et management et un MBA en achat et gestion d’approvisionnement du côté de la France, Ernestine Matjabo a par la suite travaillé pendant cinq ans pour le groupe LVMH qui est le premier groupe de luxe au monde. Elle aurait pu se contenter de cette brillante carrière dans la mode. Mais Ernestine a décidé de s’installer pour la première fois et de manière définitive au Cameroun, tout simplement parce qu’elle veut impacter sur la vie de son pays. Dans cette interview, elle présente son application www.eko.education. Une véritable révolution qui boostera à coup sûr l’éducation, la formation au Cameroun.

Présentez-nous Eko en bref…
Eko c’est une plateforme d’apprentissage en ligne qui permet à tout un chacun de se former, peu importe sa localisation et son emploi du temps. En fait, nous aidons les apprenants, en proposant un mode d’apprentissage avec des contenus sur tous les formats, audio, vidéo, texte. L’objectif c’est d’intégrer le digital dans le mode d’apprentissage des Camerounais. La technologie qui est un peu une plus-value d’Eko, c’est qu’il est possible d’avoir accès à son contenu de cours sans avoir recours à une connexion Internet. D’où la flexibilité qu’on essaie d’apporter dans le système de formation au Cameroun. Eko signifie apprendre en Yoruba, qui est une langue de l’Afrique de l’Ouest. Je trouvais que ça sonnait très bien. Je suis un peu anglophone et je voulais quelque chose qui puisse rassembler tout le monde. Pour être honnête aussi, j’ai pour vocation à la longue de toucher le marché nigérian. Je démarre au Cameroun parce que c’est ma terre natale et c’est où j’ai vraiment envie de bousculer les choses, parce que je suis rentrée au Cameroun il y a un an pour avoir un impact sur la jeunesse camerounaise ici. Je commence par le Cameroun mais d’ici deux à trois ans, je dois répandre Eko dans d’autres régions d’Afrique.
Quelles sont vos cibles ?
Dans un premier temps, Eko c’est plus un volet professionnel mais un élève de 6ème aussi peut être intéressé, puisqu’il y aura par exemple des cours sur des langues, les cours basiques. Si vous avez par exemple besoin de vous former en cours d’anglais, il y a un formateur qui va mettre son cours en ligne et lorsque vous êtes sur l’application Eko, il y a la possibilité de télécharger le cours. Il restera directement sur votre téléphone et si vous vous retrouvez dans une zone hors connexion internet, vous pouvez continuer à suivre votre formation à distance. Eko n’est pas tout public, parce que les formations qu’on va mettre en ligne intéresseront les personnes qui ont déjà la maturité. C’est plus pour les adultes parce qu’on va beaucoup plus sur le volet professionnel. On aura plusieurs spécialités, notamment des cours sur le marketing, des cours de langues, des cours sur le développement web, le coaching personnel…
Votre passion pour le digital est le fruit d’une formation académique ?
Déjà je veux préciser que j’ai 29 ans. Je faisais souvent des va-et-vient au Cameroun, mais je suis rentrée de façon définitive depuis un an. J’ai un diplôme d’ingénieur en Production et Management et j’ai un MBA en Achat et Gestion d’approvisionnement. J’ai travaillé pendant cinq ans pour le groupe LVMH qui est le premier groupe de luxe au monde. Ce n’est pas que la mode m’ennuyait un peu, c’est que j’avais vraiment une forte envie de revenir au Cameroun. J’ai décidé de rentrer et j’ai changé totalement d’univers. C’est aussi ça une femme entrepreneur parce que c’est quelqu’un qui sort de sa zone de confort et j’avais vraiment envie de faire quelque chose pour les Camerounais. Voilà pourquoi j’ai décidé de lancer Eko et de m’installer définitivement.
En ce moment où on assiste à une fuite de cerveau pour un eldorado sous d’autres cieux, pourquoi courir ce risque de plaquer une grande carrière et revenir tout recommencer au Cameroun ?
Effectivement je fais un peu le chemin paradoxal que tout Camerounais souhaiterait faire. Je suis rentrée parce que je suis camerounaise, c’est ma terre natale. J’ai surtout une forte envie intérieure de faire changer les choses, de contribuer un peu à l’économie camerounaise. C’est aussi un constat. Il y a deux ans je suis arrivée au Cameroun pour la première fois. J’ai emprunté une fois un moto-taxi. Dans la discussion, il m’a dit qu’il a un Master et que n’ayant pas trouvé de travail, il a fini par se lancer dans la moto. J’étais tellement choquée. Ça m’a fait réfléchir pendant plusieurs jours. Après analyse on se rend compte que plus de 70% des Camerounais subissent le sous-emploi. Le sous-emploi c’est avoir une formation académique et se retrouver à la fin à faire un métier qui est totalement en dessous des compétences de la formation. J’ai donc pensé à créer une application qui permet à tout un chacun de se former, et par ricochet se remotiver et se sentir utile, continuer à rester compétitif sur le marché du travail. L’autre raison m’ayant poussé à faire Eko est la crise anglophone où la plupart des écoles sont fermées. Je me suis dit qu’au lieu de faire venir les habitants de ces zones dans les grandes villes comme Yaoundé ou Douala où les écoles et universités sont déjà saturées, l’application comme la mienne permettrait d’alléger ces centres de formation à travers le digital. Nous sommes la première application du genre au Cameroun. On a des concurrents en Afrique et dans le monde mais pas au Cameroun.
Comment faites-vous pour déjà avoir des instituts universitaires comme partenaires, en ci peu de temps ?
Nous avons le logiciel Eko qu’on vend auprès des universités et instituts, qui leur permet justement de pouvoir y mettre leurs cours afin que les étudiants regardent les contenus du cours sur leurs téléphones. Il y a le volet de la formation professionnelle qui est notre plateforme à nous, où on est une place de marché. Nous permettons aux formateurs de vendre leurs contenus et d’instruire les apprenants à travers la plateforme. On a lancé Eko en fin septembre 2018. J’ai commencé le bouche à oreille depuis fin juillet. C’est vrai que c’est allé très vite. Ça prouve à quel point le secteur de l’éducation est prometteur.
Quelles sont les grands défis que vous craignez dans ce business ?
Le réel défi c’est déjà d’intégrer le concept du digital dans les instituts qui ne sont même pas encore au courant des avancées que leur offre le numérique. Il faut faire beaucoup de lobbying, beaucoup de communication pour essayer de changer de paradigme. Le deuxième défi c’est au niveau de la politique interne. Il faudrait que les ministères de l’Education ou de l’enseignement supérieur s’intéressent aussi aux outils numériques et aux start-up, afin de leur permettre de développer des outils qui pourront sans doute aider les jeunes Camerounais. Il faut savoir que plus de 60% de la population camerounaise est âgée de moins de 35 ans. La jeunesse de demain à besoin de connaître les métiers d’avenir. Pour enseigner les métiers d’avenir, il faut déjà créer un outil qui est d’avenir. L’autre défi se situe au niveau des professeurs ou les formateurs, qui ne sont pas encore digital. Il faut leur faire comprendre comment ça fonctionne. Les professeurs et les enseignants d’aujourd’hui apprennent plutôt les métiers du passé, à la place des métiers d’avenir. Conséquence, l’Afrique en général continue d’être à la traîne et c’est inadmissible. L’Afrique est la population la plus jeune au monde, on doit vraiment se mettre dans tout ce qui est digital.

Comment fonctionne Eko pour les apprenants et les formateurs ?
Pour l’apprenant, il suffit de créer un compte sur la plateforme www.eko.education, de choisir votre cours. Et vous l’avez sur votre tableau de bord. Vous pourrez ainsi lire votre cours, l’écouter ou regarder la vidéo. Ce contenu est aussi disponible sur l’application mobile Eko. On peut acheter son cours par carte bleue, mobile money. Il faut préciser que nos cours sont vraiment accessibles à tout le monde. On met des formations qui sont gratuites ou maximum coûtent 15.000Fcfa. Aujourd’hui les formations qu’on retrouve à l’étranger coûtent dans les 2millions Fcfa, 3millions Fcfa. Un Camerounais moyen ne peut pas se permettre ce type de formation, c’est impossible. Nous à Eko faisons appel à des formateurs locaux, à l’intelligence culturelle afin que si un formateur donne un cours, l’étudiant puisse savoir de quoi il parle parce que le formateur fait partie de son environnement. Eko permet aussi à tout un chacun qui a des expertises dans X domaine de compléter ses revenus. Si par exemple votre cours vaut 10.000 Fcfa, vous gagnez 60% sur chaque montant payé par un apprenant. Nous prenons une commission de 40%. Aussi, tous ceux qui travaillent à Eko, mes partenaires sont tous Camerounais.
Entretien avec Valgadine TONGA