Le président de la République a signé le 19 juin 2019 le décret 2019/321 fixant les catégories d’entreprises publiques, la rémunération, les indemnités et les avantages de leurs dirigeants. Un décret qui vient apporter de la transparence dans un domaine où l’opacité et le flou étaient la règle. Ce flou par le passé a donné lieu à des supputations de toutes sortes sur les salaires des directeurs généraux d’entreprises publiques, certains étant accusés de bénéficier même des avantages indus, de puiser dans les caisses de l’entreprise à volonté, du simple fait de leur position.
Classement des entreprises…
Dans le texte du président de la République, il prend soin de classer ces entreprises par catégories en fonction de leurs chiffres d’affaires, et sans entrer dans les détails on peut simplement relever que la 5eme et la dernière catégorie est constituée par des société d’Etat dont le chiffre d’affaire moyen des trois derniers exercices fiscaux est inférieur ou égal à 5 milliards de francs Cfa. Les sociétés de première catégorie ont quant à elles un chiffre d’affaire moyens de la même période supérieur ou égal à 100 milliards, la deuxième catégorie a un chiffre d’affaire compris entre 50 et 99 milliards, la troisième catégorie entre 10 et 49 milliards, la 4eme catégorie entre 5 et 9 milliards. Si les entreprises d’Etat camerounaises publiaient leurs chiffres d’affaires, on pourrait aisément savoir dans quelle catégorie se classent par exemple la Caisse nationale de prévoyance sociale Cnps, la Camtel, Camair-co, Camwater, la Crtv, la Sonara, la Sonatrel, Edc, la Sopecam, le Guichet Unique du commerce extérieur, le Port autonome et Douala, le Port autonome de Kribi, la Cicam, la Campost pour ne citer que ces quelques-unes. A défaut on peut dire que toutes les entreprises publiques se retrouveraient au pire des cas dans la dernière catégorie, et essayer de comprendre sur cette base le décret du 19 juin tout en nous intéressant au poste le plus prisé, celui de directeur général.
Salaires, avantages de toute sorte
S’agissant de la rémunération, l’article 19 de ce décret dit qu’il est alloué au Directeur général et au directeur général adjoint d’une entreprise publique, une rémunération mensuelle brute comprenant un salaire de base, une indemnité de responsabilité et une indemnité de représentation. L’article 20 fixe ledit salaire, et pour le directeur d’une entreprise de la 5eme catégorie qui est l’échantillonnage retenu ici, il a droit à 0.04% de la borne supérieure de la catégorie, à savoir 5 milliards de francs cfa ; ce qui fait la somme de 2 000 000 Fcfa par mois. D’après l’article 22, les indemnités mensuelles de responsabilité du Directeur général et de son adjoint sont fixées au 1/5 du salaire mensuel de base brut servi à chaque intéressé, soit 400 000 Fcfa dans le cas d’espèce. A quoi il faudra ajouter les indemnités mensuelles de représentation fixées par l’article 23 au 1/7 du salaire mensuel brut, soit 285 714 Fcfa. Cela fait un total de 2 685 000 Fcfa assujetti aux impôts et taxes qui peuvent en prendre autour de 300 000.
En plus du salaire, le Dg a droit à une maison de fonction d’une valeur du quart de son salaire brut soit 500 000 Fcfa dans ce cas, et s’il habite sa propre maison cet argent lui est reversé dans son salaire. D’autres avantages précisés à l’article 27 sont une voiture de fonction de 15 chevaux et une voiture d’hôtel de 11 chevaux maximum, une allocation d’ameublement et d’équipement qui ne peuvent excéder le double de son salaire mensuel brut, renouvelable tous les 5 ans, soit 4 000 000 Fcfa, une allocation forfaitaire mensuelle de carburant, d’eau, d’électricité, de téléphone, de domesticité, un gardien de jour et un gardien de nuit. Après un an de service il a droit à un congé de trois semaines avec une indemnité de congés équivalent à un mois de son salaire brut. Point besoin de rappeler que lui et sa famille sont soignés aux frais de l’entreprise. Pour ses missions pour le compte de la société, il a droit à des frais de 150 000 Fcfa par jour à l’intérieur du pays, 250 000 par jour s’il va au Tchad qui n’est qu’un exemple, 300 000 s’il va dans un pays d’Afrique du Nord comme l’Egypte, 350 000 par jour s’il va en Allemagne ou aux Etats Unis.
Près de 5000.000 de salaire pour le dernier des Dg
Et pour ces missions, il peut en faire jusqu’à 60 dans l’année suivant l’alinéa 3 de l’article 32. De manière schématique, le directeur général d’une société d’Etat la plus pauvre, c’est-à-dire celle qui fait au maximum 5 milliards de chiffre d’affaires, va se retrouver à la fin du mois avec au bas mot 4 500 000 Fcfa de net à percevoir, s’il s’est limité à effectuer juste 5 missions dans le mois et à l’intérieur du pays seulement. En projetant ces montant sur le directeur général d’une société de la première catégorie, dont le chiffre d’affaires est égal ou supérieur à 100 milliards, et c’est le cas des sociétés pétrolières, on se retrouve autour de 12 millions Francs Cfa de salaire pour un seul homme. Que ce soit les 4 500 000 Fcfa du Dg de la société de 5eme catégorie ou les 12 millions de celui d’une société de la première catégorie, il est loisible de noter que ces privilégiés ne payent pas de domestique, ils ont deux voitures gratuites au frais de la société avec bon de carburant et frais d’entretien, ils n’ont pas de soucis de frais médicaux à payer.
Clivage
A côté d’eux il y a le Camerounais lambda. Le 24 juillet 2014, le Premier ministre Philémon Yang signait le décret 2014/2217 fixant le salaire interprofessionnel garanti à 36 270 Fcfa sur l’étendue du territoire camerounais quelle que soit la branche d’activité. Dans ce salaire, le travailleur doit payer le transport, le loyer, la nourriture, l’électricité, l’eau, le téléphone, la santé, la maternité de ses enfants et leurs scolarités. Il n’a pas de congés. Dans le principe l’entreprise publique a pour principal actionnaire l’Etat, c’est-à-dire les citoyens camerounais. Que le capital soit constitué sur prêt ou financement direct, il s’agit de l’argent du peuple, toute personne de nationalité camerounaise habitant sur le territoire ou à l’extérieur. Et les bénéfices devraient leur profiter en premier. Au lieu de cela, le décret du président de la République vient rappeler que ces entreprises sont plutôt des vaches à lait destinées à nourrir une catégorie de personnes dont au demeurant la nomination reste discrétionnaire.
Roland TSAPI