Discours de haine, propos discriminatoires, fake news…, les médias camerounais sont de plus en plus accusés d’incitation à la haine. A la veille des élections législatives et municipales, la place des médias dans la préservation de la paix sociale préoccupe.
«Sensibilisation sur la liberté d’expression, le discours discriminatoire et l’incitation à la haine». C’est le fil conducteur qui a sous-tendu deux jours d’atelier (les 13 et 14 juin 2019) à l’adresse des journalistes à Douala. Le Conseil national de la communication (Cnc) conjointement avec la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (Cndhl) n’a pas choisi ce thème de manière fortuite. C’est que le climat social au Cameroun est pour le moins délétère, avec les crises sécuritaires dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les critiques contre le gouvernement fusent. La présidentielle d’octobre 2018 a ajouté de l’huile sur le feu, avec une avalanche de propos virulents dans les médias.
«Ces discours de haine et de violence sont récurrents à la veille des élections régionales et législatives prévues pour cette année. L’organisation des élections régionales avant les élections municipales est sources de vives tensions politiques et à accentuer la crispation politique. Les médias sont sollicités pour diffuser des messages des différentes positions. L’objectif de cet atelier est d’encourager les journalistes à proscrire l’incitation à la haine et à la discrimination», explique Christine Kotna, assistant programme en droits de l’homme au Centre des Nations unies pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale.
Si le journaliste réclame le droit d’exercer librement son métier, il doit tout aussi faire attention au message qu’il délivre et la manière avec laquelle il le fait. Représentant du directeur régional du centre des nations unies pour les droits de l’homme, le Burundais Firmin Sindaye craint que «les médias soient utilisés comme vecteur de propagation de discours de haine et de division. Point n’est besoin de rappeler la place de la Radio des Milles collines dans le déclenchement de la guerre au Rwanda.»
La Représentante du président du Conseil national de la communication (Cnc), par ailleurs Chef service juridique au Cnc, lui emboite le pas. Carine Mman regrette que «les médias camerounais aujourd’hui, plus qu’hier, présentent un triple visage. Ils fonctionnent comme des caisses de résonance, de simples porte voix, des échos sonores des groupes de pressions politiques, économiques et culturelles qui en sont les promoteurs et auxquels ils appartiennent. Certains médias de chez nous sont complices de préjugés et complexes qui sous-tendent le repli identitaire et les discours de haine. Aujourd’hui, on peut entendre dans les médias, les invités qui parlent de ‘‘tontinard et de sardinard’’, sans la moindre relance du journaliste. Certains journalistes sont les propagateurs de fake news.» Du haut de ses trente ans de pratique du journalisme, Lazare Etoundi a la maîtrise et la science pour parler de la déontologie du journaliste.
Le journaliste principal à la Crtv, spécialiste en arts, culture et communication martèle qu’en cas de propos ou d’articles basés sur des contrevérités, «nous avons le devoir de rectification et de demande de pardon comme ça se fait en Angleterre, le pays des Gentlemen.» On retient aussi de son intervention que «les journalistes ont, d’une part la responsabilité d’éduquer et de promouvoir certaines valeurs telles que la paix sociale, l’unité nationale et la coexistence entre les peuples, les nations, les groupes et les ethnies : des valeurs fondamentales indispensables et engagées pour un avenir meilleur.» Quel Cameroun les journalistes veulent-ils façonner ? Pour l’heure, il est manifeste que les médias ne roulent pas tous pour la paix.
Valgadine TONGA