Le développement économique de l’Afrique centrale et de l’ Afrique noire en générale reste sujet à caution. Le mal est profond et «il n’y a pas de mesure miracle» pour résoudre le problème. C’est ce qui ressort de cet entretien avec l’économiste Dieudonné Essomba. Il était exposant à la conférence régionale sur la dette en Afrique centrale. Une rencontre (8-9 août 2017 à Douala) initiée par African forum and network on debt and development (Afrodad), en collaboration avec la Plateforme d’information et d’action sur la dette (Pfiad). Fil conducteur des échanges, «Comment faire face aux défis majeurs liés à la gestion de la dette publique au niveau de la région Afrique centrale ?»
Quand dit-on d’un pays qui est surendetté ?

La dette extérieure désigne les dettes que l’Etat du Cameroun doit aux pays étrangers. Et la dette intérieure c’est celle que le Cameroun doit aux opérateurs nationaux, par exemple aux fonctionnaires que l’Etat n’arrive pas à payer les avancements, les entreprises qui ont construit des salles de classe et que l’Etat n’a pas payé. Quand ces deux dettes atteignent un haut niveau, le pays devient surendetté. Surendetté signifie que vous n’avez pas les moyens d’enlever une partie de votre revenu pour payer la dette et la réduire. Donc même si vous tentez de payer, rien que les intérêts augmentent et vous n’arrivez plus à la limiter ni à la baisser. Là on dit que vous êtes surendettés.
Il a été affirmé lors de l’atelier que l’emprunt obligataire est l’un des facteurs du surendettement des pays de l’Afrique centrale. Comment cela se fait ?
Tout emprunt, c’est-à-dire toute manière de prendre l’argent ailleurs vous endette. C’est naturel. Donc concernant les emprunts obligataires qui sont d’ailleurs une pratique assez récente, l’Etat a trouvé moyen de résoudre ses problèmes à partir de là. Comme c’est attractif pour les banques, qui avaient d’énormes ressources oisives, d’énormes dépôts, l’Etat a commencé à prendre l’argent et aujourd’hui il se retrouve dans la difficulté de le rembourser.
Dans ce cas, pourquoi l’Etat s’entête avec les emprunts obligataires ?
C’est le problème de gouvernance. C’est un peu comme quelqu’un qui trouve une source de financement facile. Il se met à dépenser, puis un certain moment ça déborde et ça devient difficile à gérer.
Comment l’Afrique centrale, le Cameroun en particulier peut se développer sans emprunts obligataires, sans aides extérieures ?
Le Cameroun le peut. L’aide extérieure c’est un prêt, c’est-à-dire remboursable. Donc vous auriez pu aussi vous engager sans prêts. C’est un problème d’organisation. Même les moyens que ces pays extérieurs vous donnent ne sont pas des cadeaux, donc c’est des choses que vous auriez pu avoir par vous-mêmes. Vous pouvez faire une épargne si vous êtes des gens responsables. La dette permet juste d’avoir en anticipation ce que vous auriez pu avoir de vous-mêmes. De toutes les manières il faut bien ajuster parce que même pour emprunter il faut que cet emprunt soit rationnel et soit intelligemment bien fait.
Doit-on comprendre qu’il n’y a pas de solution ?
C’est très compliqué. Si le développement était aussi facile, si on peut dire dans une interview ce qu’il faut faire, tous les pays seraient développés. C’est beaucoup plus compliqué. Nos pays ont été créés par la colonisation. On leur a donné une orientation donc ce n’est pas facile pour eux de sortir de cette orientation. S’il était aussi facile de se développer, tout le monde serait déjà développé. Il faut revoir tout le dispositif productif. Ce n’est pas facile. Le fait qu’on ne trouve pas de pays développé en Afrique noire prouve à quel point c’est compliqué. C’est un problème complexe qu’il faut traiter de manière sérieuse. Il faut voir la théorie économique parce que personne ne comprend ce qui se passe. Personne ne peut vous dire la vraie raison. Chacun pense que c’est peut-être ceci ou cela, mais personne ne sait. En Afrique noire tous les pays sont en panne, même s’il y a des différences.
A quoi aura donc servi cet atelier si le sort semble scellé ?
C’est des initiatives car à défaut de résoudre le problème on l’atténue. Il n’y aura aucune mesure qui viendra résoudre le problème à la fois. C’est de fausses espérances. Il faut enlever de la tête qu’il y a une mesure miracle que dès qu’on va l’appliquer tout va marcher. Ça fait soixante ans que les pays de l’Afrique noire ont ce problème. C’est compliqué. La chose la plus compliquée au monde c’est développer un pays d’Afrique. C’est terriblement difficile.
Sous Houphouët Boigny, Ahidjo…la Côte d’Ivoire et le Cameroun étaient on ne peut plus lotis…
La maladie ne c’était pas encore développée. Nous sommes des systèmes bloqués. Le problème c’est comment les débloquer. Même à l’époque d’Ahidjo ça marchait bien mais le système était déjà malade.
Entretien avec Valgadine TONGA