Depuis l’avènement du multipartisme, les partis politiques accusent souvent le pouvoir de la noyauter et chercher à la détruire en retournant ses militants. La dernière correspondance du Ministre de l’Administration territoriale vient encore de jeter l’huile sur le feu. Le parti au pouvoir choisit-il ses opposants ?

Depuis le retour au multipartisme en 1990 au Cameroun, l’apathie des partis politique de l’opposition a souvent été attribuée à leur accointance avec le parti au pouvoir. Le compteur du ministère de l’Administration territoriale pointe plus de 305 partis politiques, selon les statistiques de 2013. A quoi servent tous ces partis, se pose-t-on souvent la question. Pendant que le pouvoir répond qu’ils concourent à l’expression démocratique, la société civile et une frange de partis répondent qu’ils servent à distraire la vraie opposition, saboter ses actions et escorter le pouvoir dans sa pérennisation aux affaires. Les tenants de cette thèse soutiennent d’ailleurs que la plupart des partis d’opposition sont contrôlés par le pouvoir, ils peuvent organiser souvent des semblants de manifestations avec l’onction du pouvoir, alors que la vraie opposition essuie un « non » automatique quand elle fait une déclaration de manifestation.
Le pouvoir vient encore de confirmer cette thèse, en adressant par les soins du ministre de l’Administration territoriale, Atanga Nji, une correspondance aux gouverneurs des Régions dans laquelle il leur indique les responsables qui devront désormais parler au nom de trois partis. Il s’agit de Ekane Anicet pour le Manidem, Robert Bapooh Lipot pour l’Upc et Tita Samuel Fon pour le Cpp. D’abord un mot sur ces heureux élus du ministre Atanga Nji. Robert Bapooh Lipot est le secrétaire général de l’une des factions de l’Upc représentée à l’Assemblé nationale, et il vient d’appeler publiquement à soutenir le candidat du Rdpc, le président sortant Paul Biya à l’élection présidentielle. Ekane Anicet du Manidem est publiquement accusé par ses adversaires de soutenir Paul Biya depuis des lustres, et Tita Samuel Fon est accusé dans le Cpp de semer le désordre au prétexte que Edith Kabban Walla adopte des positions contraires à l’idéologie du parti, laquelle est de soutenir Paul Biya. Le dénominateur commun de ces trois est donc le soutien à Paul Biya.
Ingérence malsaine

Ensuite, Atanga Nji lui-même qui signe la lettre est un militant du Rdpc, et c’est à ce titre qu’il a été nommé au poste de ministre, qu’il cumule d’ailleurs avec celui de président du Conseil national de la sécurité. En conséquence, un militant d’un parti ne peut décemment choisir les responsables d’un autre parti. C’est pourquoi en matière de conflit interne dans les partis, la justice, qui jouit en principe de la neutralité et de l’indépendance vis-à-vis de tous, est seule habilitée à connaitre les différends. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur cet argument que les autres parties prenantes dans ces conflits en cause ici, qualifient de complètement illégaux les actes du ministre. On dirait un match de football où un joueur de l’équipe adverse rentre dans le camp d’en face et dit qu’il ne veut pas du gardien, du défenseur ou de l’attaquant, et choisi qui pour lui est bon pour rentrer dans les buts adverses. Cela tombe sous les sens. Enfin, Ekane Anicet, lui au moins, grand défenseur de la légalité devant l’éternel, qui dénonce en permanence la ruse utilisée par le gouvernement pour affaiblir l’opposition, devrait en toute logique refuser l’aide du ministre de l’At, et se battre à la loyale devant la justice pour regagner sa légalité dans le parti, s’il estime qu’il en a droit. C’est ce qu’il appelle lui-même l’élégance en politique.
L’habitude de la déstabilisation
En jetant un coup d’œil en arrière, on constate d’ailleurs que le pouvoir est un habitué des faits. Les sources vivantes de l’Upc racontent que l’instrumentalisation de l’Upc, dont est d’ailleurs issu le Manidem, date des années 90, à l’aube du multipartisme. D’après elles, au sortir de la clandestinité, le Rdpc ne voulant pas avoir à faire à cette Upc combattante, a créé son Upc et lui a donné une légalité le 12 février 1991. Cette Upc là a à sa tête Dicka Akwa Nya Bonabela, qui ira chercher feu Frédéric Augustin Kodock pour en faire le secrétaire général. Mais Dicka se révèle plus coriace et rigoureux que le pouvoir ne l’avait pensé. Il demande un peu trop, et le Minatd est obligé de changer de cheval pour s’appuyer désormais sur le Sg Kodock, à qui il confère tous les pouvoirs. Ce dernier s’accroche au serpent et passe toutes sortes d’alliances, rentre au gouvernement, avec promesse ferme de soutenir désormais le pouvoir. La base devient mécontente, et dénonce l’accord. Le même pouvoir écarte Kodock et fait venir de Bordeaux Henri Hogbe Nlend, qui rentre également au gouvernement. Lui-même se retrouve rapidement déraciné, sans connexion avec la base.

Il est lui aussi mis de côté, et le pouvoir revient à Kodock, qui exige désormais une certaine garantie. Pour le rassurer, le Minat Marafa Hamidou Yaya signe une note similaire à celle d’Atanga Nji. Il l’envoie à toute la préfectorale, qui a désormais ordre d’interdire toute réunion de l’Upc qui n’a pas l’onction de l’homme à la sacoche. Il reste fidèle cette fois, jusqu’à passer de vie à trépas, remplacé dignement par Adolphe Papy Doumbé, lui aussi docile, mais emporté par la mort. Louka Basile se positionne désormais comme Secrétaire général, mais ne représente pas grand-chose pour le pouvoir, qui une fois de plus sort du chapeau Bapooh Lipot et en fait le secrétaire général. Il est plus politiquement correct que Docteur Balebel élu Secrétaire général au dernier congrès et Habiba Issa élue présidente. A en croire les membres de l’Upc dite des fidèles, qui regardent amusés ce qui se passe, c’est le pouvoir qui a créé son Upc et il peut mettre à la tête qui il veut. Il est resté dans la logique de diviser pour mieux régner, et si en face l’opposition ne veut pas tirer des leçons, alors qu’il en soit ainsi.
Roland TSAPI