Nous parlions dans la précédente chronique du déficit de trésorerie des 51 banques classiques ou commerciales de la zone Cemac, annoncée par le gouverneur Abbas Mahamat Tolli qui prévoyait en même temps de renflouer d’ici la fin de l’année les caisses de ces banques par de l’argent liquide.

Avant de revenir sur cette mesure, il convient d’abord de relever comment le plus petit épargnant, même celui qui n’a aucun compte dans ces banques, est touché par cette situation. Une banque commerciale, pour exercer, doit déposer à la Beac une caution ou un fond de roulement d’au moins 5 milliards de Francs. De même, les micros finances doivent déposer dans une ou plusieurs banques commerciales qui les parraine, un fond de roulement dont le montant varie en fonction de la catégorie sollicitée. Et comme les micros finances fonctionnent essentiellement avec les tontines, et comme tout Camerounais garde son argent au moins dans une tontine, il devient dès lors évident que même le plus petit épargnant qui ne garde que 100 Fcfa par jour, alimente aussi les banques. D’où la conclusion logique : si les banques ont des problèmes, cela peut se répercuter en échelle descendant sur la microfinance, sur la tontine, et sur les 100 Fcfa gardés par jour.
Revenant donc sur l’annonce du gouverneur de la Beac, nous constatons que cette démarche n’est pas aussi claire qu’on veut faire paraitre. D’abord parce qu’il est expliqué que les Etats ont pris de l’argent dans les banques à travers les emprunts obligataires, ce qui aurait mis ces institutions en difficulté. Or comme nous relevions dans la précédente chronique, depuis le lancement de ce marché des titres en 2011, les Etats y ont officiellement mobilisé plus de 4 000 milliards de francs Cfa. Ce qui représente environ 40% des 9 827 milliards de francs Cfa de dépôts bancaires enregistrés dans la zone Cemac à la fin juillet 2016. Donc il devrait logiquement rester 5 827 milliards dans les caisses, et là on ne peut pas parler de déficit de trésorerie. Ensuite parce que dans la pratique, quand une banque ou une microfinance à des difficultés de trésorerie, elle est mise sous administration provisoire. Cela a été le cas d’Amity Bank, de la Cbc pour ne citer que ces exemples. En plus, il existe un gendarme des banques qui les surveille, appelée Commission bancaire de l’Afrique centrale, en abrégé Cobac. Cet organe de régulation s’est par ailleurs doté en mai 2015 d’un nouveau «règlement relatif au traitement des établissements de crédit en difficultés». Ceci, à l’effet «de contenir les crises et les anticiper», d’une part, et de «faciliter les opérations de restructuration et d’assainissement» d’autres part.
«Maximiser les chances de survie des établissements»
Selon l’Equato-guinéen Lucas Abaga Nchama, à l’époque gouverneur de la Beac et par ailleurs président de la Cobac, «ce nouveau dispositif mis en place à l’échelle de la Cemac, pour la résolution des problèmes de nos assujettis, revêtait une importance particulière, eu égard aux conséquences de la récente crise financière internationale, qui avait entraîné de nombreuses faillites bancaires». Il était donc question, au moyen du nouvel arsenal juridique, «d’assurer une supervision bancaire pleinement efficace», qui comble les failles de l’ancien dispositif de surveillance des banques et obéit surtout aux standards internationaux, notamment «les nouveaux principes plus exigeants définis par le comité de Bâle». Il concluait que le nouveau règlement vise globalement à «maximiser les chances de survie des établissements de crédit en difficultés, et, ce faisant, à minimiser les risques pour les déposants et les pouvoirs publics». Deux ans après, que s’est-il passé, pour que l’on parle de déficit de trésorerie ? Et si déficit il y a véritablement, pourquoi la Cobac ne prend pas ses responsabilité ?
L’annonce semble désormais suspecte, surtout quand l’on sait que le Gouverneur de Beac ne peut faire une telle déclaration sans qu’elle ne soit validée par le conseil d’administration de la Beac. Lequel Conseil d’Administration est composé de 14 membres, dont 2 pour chacun des 6 pays membres et deux pour la France. En plus, ces deux représentants de la France ont un droit de véto sur toutes les décisions prises. En clair, si les deux français n’étaient pas d’accords, cette déclaration ne pouvait passer. A y voir de près, cette annonce aurait des desseins cachés. Pourquoi vouloir alarmer les populations de la zone Cemac en leur faisant croire que toutes les banques ont des problèmes ? N’est-ce pas un moyen pour sur-endetter les banques locales, et à travers elles les pays ? Remplacer cet argent supposé pris par les Etats, c’est un peu comme racheter les dettes de ces Etats auprès des banques.
50 ans pour rembourser la dette
Et comme la situation dans ces Etats n’est pas prête de s’améliorer du fait du cours du pétrole qui ne cesse de baisser et de la mauvaise gestion qui règne dans l’exploitation des autres ressources minières, il est fort à parier que ces Etats vont se retrouver rapidement asphyxiés. Et sans liquidité, il leur sera proposé une fois de plus, une fois encore d’exploiter des ressources à moindre coup pour compenser la dette. Un peu comme un riche arrive dans un village, endette la population et va voir le chef pour exploiter son champ pendant 50 ans pour rembourser la dette, maintenant pendant ce temps les populations esclaves.
Roland TSAPI, Journaliste