Avocats, huissiers de justice, notaires, architectes, conseils fiscaux…Ils sont en sous-effectif, mais l’on ne veut pas admettre de nouveaux.

L’abondance des professionnels dans un corps de métier peut-elle être néfaste, est-on tenté de se demander, au regard du déficit constaté dans les différents corps de métiers au Cameroun. Avocats, huissiers de justice, notaires, architectes, conseils fiscaux, sont entre autres, des différents corps de métiers regroupés en Ordre. Et quoique le nombre de ces professionnels au Cameroun soit encore très insuffisant, l’accès à ces professions reste une gageure. Pour la profession d’avocat par exemple, le tableau de l’Ordre datant de 2016 pointe 1951 membres. En y ajoutant les 474 stagiaires qui ont été déclarés admis à l’examen de fin de stage en avril 2018, cela donne un total de 2425 avocats au total. Pour une population estimée à 23 millions, on arrive à un quota d’un avocat pour près de 9500 personnes, étant entendu que chaque habitant est un potentiel justiciable.
Largement insuffisant pour un pays qui aspire à une justice équitable. Quand on sait qu’en France par exemple, on a un avocat pour 1200 personnes, en Allemagne un avocat pour 550 habitants et en Espagne un avocat pour 395 personnes. Le rôle de l’avocat étant primordial dans la défense des droits des personnes physiques et morales, il est dès lors évident qu’un Etat de droit comme se réclame le Cameroun ne peut construire une société sans les professionnels en nombre suffisant qui veillent à l’équité de la justice. Le Barreau des avocats du Cameroun ne veut pour autant pas ouvrir les vannes, et laisser le corps grandir en nombre. Lors du dernier concours d’entrée au Barreau, 474 candidats seulement ont été admis sur les 1361 candidats. 887 candidats ont ainsi été laissés derrière, ayant déjà passé 3 ans de stage en cabinet. La proclamation des résultats a même fait l’objet d’une contestation des recalés qui criaient à l’injustice, mais leurs revendications n’ont pas abouti à grand-chose. Les admis ont prêté serment hier 04 juillet 2018 à la Cour d’Appel du Littoral à Douala.
Cauchemar des opérateurs économiques

Un autre exemple, celui de l’Ordre national des conseils fiscaux du Cameroun (Oncfc). Ils sont près de 80 sur tout le territoire national, en tout cas ceux qui font partie de l’Ordre. Pourtant le besoin est réel, dans un contexte économique où la gestion des impôts est restée un cauchemar pour les opérateurs économiques. Ils perdent toujours le sommeil quand il faut attaquer l’aspect fiscal des activités. Le peu de Conseils inscrits à l’Ordre sont surchargés et trop sollicités, et se retrouvent parfois à sous-traiter des dossiers aux Conseils qui quoique compétents, frappent désespérément aux portes de l’ordre, qui restent hermétiquement fermées de l’intérieur. Et pour cause. D’après la loi n°2011/010 du 06 mai 2011 fixant l’organisation et les modalités d’exercice de la profession de conseil fiscal au Cameroun, en son article 12 alinéa 1, « les candidats au stage professionnel obligatoire visés à l’article 5 ci-dessus, doivent avoir été reçus à l’examen d’admission en stage organisé tous les deux (2) ans par le conseil de l’ordre, sous la supervision administrative de la tutelle ».
Cette loi date de mai 2011, mais il a fallu attendre 3 ans pour organiser le tout premier concours d’admission au stage de conseil fiscal, le 14 décembre 2014. 162 candidats étaient en lice. Cet examen, d’après la loi suscitée devrait être organisé tous les deux ans, mais depuis 2014, plus rien. De quoi penser que l’Ordre n’est pas très enthousiaste de voir de nouveaux membres entrer dans le corps et exercer en toute légalité. Pourtant le besoin est là. Si l’on s’en tient à l’exemple de ces deux corps de métier, on se rend bien compte que ce n’est pas l’Etat qui empêche les jeunes Camerounais d’accéder au libre exercice de leur profession, mais les concernés eux-mêmes, les avocats d’un côté et les Conseils fiscaux de l’autre. Qu’est ce qui explique qu’un corps de métier bloque lui-même l’accès à la profession des autres personnes qualifiés, en n’organisant pas les concours à intervalle régulier pas exemple ? D’après certaines sources, ces corps de métiers, à l’instar de tant d’autres comme l’Ordre national des Médecins ou des Architectes, pratiquent en réalité sans le dire ce qu’on appelle le numerus clausus, autrement dit, l’autorisation limitée d’exercer dans une profession à un certain nombre de personnes.
Autorisation limitée d’exercer
Un corps de métier s’arrange ainsi à avoir très peu de membres pour contrôler le marché. Mais doit-on privilégier ses intérêts au détriment de l’accès du plus grand nombre aux services ? Plus il y a les avocats, mieux le service public de la justice est rendue. Plus il y a de conseils fiscaux, mieux se portent les commerçants, et ainsi de suite. Et en tout état de cause, il doit y avoir une réelle égalité des chances dès que l’on remplit les critères de connaissances. Les différents corps de métier ont ainsi une grande responsabilité dans la résorption du chômage, et tout le monde en sortirait que gagnant.
Roland TSAPI