Après Essenguè, les bulldozers insensibles du Port autonome de Douala promettent de semer la désolation à Youpwe, malgré les supplications des habitants de laisser cette portion de 3ha, qu’ils ont mis en valeur.
«J’ai acheté mon terrain, il y a vingt ans à Youpwe. Au départ, c’était un gros risque parce que cette zone était marécageuse et presque inaccessible. J’y ai réfléchi à plusieurs reprises. Mais lorsque j’ai vu les investissements que les autres avaient réalisés, les édifices qui sortaient de là, j’ai décidé de me lancer. C’était certes un risque, mais également une opportunité qu’il fallait saisir. J’ai donc acheté ce lopin de terre, j’ai lancé mon chantier. Aujourd’hui, j’y ai déjà investi plus de 20 millions de Fcfa pour bâtir ma villa. Ma famille et moi devrions intégrer mon domicile cette année. Il y a moins de dix jours, j’ai eu l’information qu’on va casser Youpwè. Je suis dans la panique», témoigne Jules Epoh, la mine grave. Lui qui croyait avoir enfin réalisé le rêve de sa vie.
Le Port autonome de Douala (Pad) a annoncé il y a quelque jours, son opération de casse en vue de la mise en œuvre de son projet de la sécurisation de son domaine portuaire. Les responsables du port promettent d’épargner une partie du quartier, mais les riverains peinent à y croire. «A ce jour, je ne suis pas rassuré malgré les différentes réunions qu’on a tenues. Bien qu’ils disent qu’une partie sera épargnée, j’ai bien peur qu’ils fassent ce qu’ils ont fait à Essengué. J’étais présent lors de la descente du directeur du port à Essengué lorsqu’il délimitait le tracé qu’il devait casser. Mais au moment de casser, la réalité était tout autre ; ils ont cassé tout le monde», se souvient Jules Epoh.
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D’autres habitants par contre, sont établis à Youpwè depuis des décennies, y ont construit leur vie, fonder leurs familles et surtout investi d’importants moyens pour viabiliser cet espace autrefois marécageux. Des immeubles sont aujourd’hui érigés à Youpwe. Tous ces sacrifices humains, financiers seront malheureusement réduits en poussière et engloutis sous les décombres après les coups insensibles des engins du Port autonome de Douala. Près de 5.000 personnes vont ainsi se retrouver à la belle étoile.
Les habitants ont perdu le sommeil depuis l’annonce de cette triste nouvelle. Les réunions entre les responsables du Pad et les populations sous la médiation de l’administration se succèdent. La dernière réunion, convoquée par le préfet du Wouri Benjamin Mboutou, s’est tenue le mercredi 23 mars 2022. D’entrée de jeu, d’un ton martial, le préfet du Wouri a sommé les populations de commencer à partir.
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Les habitants affligés pour leur part disent ne vouloir mener aucun bras de fer avec le Pad et ne s’opposent pas la construction de cette barrière de sécurité. Mais ils demandent au Pad de revoir le tracé de sa barrière afin d’épargner les 5.000 familles établies sur les 3 à 4 ha touchés par cette barrière. «Nous restons sur notre faim. Nous demandons au port qui a abandonné beaucoup d’hectares de terrains, qui veut détruire 5000 personnes sur moins de 3 ha, de laisser cette portion de terre qui a été mise en valeur par les populations. Il y a 50 ha en jachère qui se trouve entre Essengué et Youpwè, le port n’a qu’à les mettre en valeur. Ce ne sont pas les 3 à 4 ha sur lesquels les populations se trouvent qui feront le dynamisme et la compétitivité du port », argue Samuel Wo’o Nko’o, habitant.
Sourd à ces doléances, le Pad, représenté à cette rencontre par son directeur général adjoint a martelé qu’il exécute les instructions du président de la République qui a instruit la sécurisation du domaine portuaire et la modernisation du port afin de le rendre plus compétitif. Aussi, se plaint-il de la pression foncière exercée par les populations sur son domaine. Avec 1000 ha de superficie, il est l’un des plus petits ports sur le Golfe de Guinée.
Blanchard BIHEL
Un peu d’histoire…
Youpwe au départ était un campement des pêcheurs. D’abord situé du côté de la Base navale de Douala, du nom originel Boussa Sengué (derrière Sengué en langue duala), ce quartier qui va connaître un développement important par l’invasion des populations dans celle partie de la ville, sera déclaré d’utilité publique et démoli à la fin de la décennie 70. C’est dans les années 78-79 qu’une décision de recasement des populations déguerpies de cet espace que l’actuel Youpwe va voit le jour. Les routes vont être préalablement tracées avec des lotissements bien faits, avant que l’administration envoie les gens s’y installer.
Sur le plan coutumier, la chefferie de Youpwe dépend de la chefferie supérieure du Canton Bell dirigée par Sa Majesté Jean Yves Douala Manga Bell. Sur le plan administratif, deux municipalités se partagent l’autorité sur le territoire : Douala 1er du côté Ouest à partir de la route principale et Douala 2ème à partir du côté Est. Ce, exclusivement sur le plan fiscal.
F.E.