Il y a 57 ans, le Cameroun a été déclaré indépendant, c’est-à-dire qu’officiellement le pays quittait la tutelle de la Franc et de l’Angleterre pour prendre son destin en main, à tous les niveaux de la nation. Sauf qu’un an avant la proclamation de cette indépendance, la France avait pris soin de tout verrouiller et s’assurer qu’en sortant par la porte elle revienne par la fenêtre et conserve le contrôle du pays. Cela s’est fait à travers les Accords de Coopération France/Cameroun, signés par le président Ahmadou Ahidjo pour le Cameroun et le Général Charles de Gaulle pour la France. La journée du 7 août était la journée internationale de l’éducation. Rien de particulier n’a été organisé au pays pour donner un sens à cette journée, pourtant on est à trois semaines de la prochaine rentrée scolaire. Aucune réflexion n’est faite pour permettre à la jeunesse d’avoir une éducation adaptée à ses réalités socio-culturelles et historiques, au contraire. Pour ce qui est du système éducatif et de programme scolaire du Cameroun, les termes de ces accords de coopération sont sans ambages. Le point 3 de l’article 6 dit et je cite « la France devra orienter la détermination des programmes scolaires du Cameroun à tous les niveaux », fin de citation.
Notons que les langues d’apprentissage sont d’abord restées celles héritée de l’époque coloniales, le français et l’Anglais. Jusqu’à ce jour, aucune langue locale n’a été retenue pour être la langue nationale pratiquée à l’école et dans les administrations. Ajoutées à celles-ci, les élèves camerounais ont le choix, à partir de la classe de 4eme, entre plusieurs autres langues considérées comme seconde langue. Ici l’Etat propose l’allemand, l’espagnol, le latin, et depuis quelques années, le chinois et l’italien. Quant aux langues nationales, elles restent reléguées au second plan. Jusqu’ici aucune n’a été retenue et inscrite au programme comme faisant l’objet d’un apprentissage au niveau national, ce sont les langues étrangères qui conservent la primeur. Pourtant, une étude de l’Unesco indique que les enfants apprennent mieux dans leurs langues maternelles. Beaucoup de pays africains l’ont d’ailleurs compris depuis longtemps et institué les langues maternelles à l’école dès la maternelle.
Pas un mot sur le théâtre camerounais
Cet organisme explique en plus qu’il y a beaucoup de danger à enseigner des enfants dans une langue étrangère, car les parents, pour peu qu’ils soient analphabètes, comme c’est le cas dans beaucoup de familles au Cameroun, ne seront pas en mesure de communiquer avec leurs enfants où les aider à faire leurs devoirs. Par contre, L’organisation souligne les avantages d’un enseignement en langue maternelle dès le plus jeune âge : les enfants sont ainsi plus nombreux à fréquenter l’école et à y obtenir de bons résultats; les parents ont plus de facilité à communiquer avec les enseignants et à accompagner leurs enfants dans leurs devoirs, les filles et les enfants des zones rurales qui ont moins de contact avec les langues dominantes poursuivent leurs études plus longtemps et ont moins tendance à redoubler. S’agissant du contenu même des enseignements, la liste du manuel scolaire et du matériel didactique pour le compte de l’année scolaire 2017/2018 est restée dans la logique de ces accords de coopération, dominée par le livre français. Pour les classes de seconde par exemple, il est inscrit au programme une matière appelée théâtre français, avec comme livre à étudier le mariage de Figaro et Beaumarchais ou le Misanthrope de Molière. Pas un mot sur le théâtre camerounais, comme s’il n’existait pas, ou comme s’il n’y avait aucun auteur d’œuvres théâtrales au Cameroun, avec tous les éminents écrivains que le Cameroun regorge.
En classe de première, les élèves auront à faire, pour les cours de Français, à trois œuvres : Bel Ami de Guy de Maupassant, Une saison Blanche et sèche d’André Brink et Balafon de Engelbert Mveng. Sur trois auteurs à étudier, 2 sont français. Une fois de plus ce n’est pas de la littérature camerounaise qui fait défaut, c’est parce qu’il faut respecter les termes de Accords de coopération. S’agissant des cours d’histoire, de la 6eme en 3eme, les élèves étudieront l’Afrique et le monde. Pour les classes de seconde et de première, la liste signée par le ministre des Enseignements secondaires indique tout simplement qu’il n’y a pas de livre adapté au programme. Les enseignants vont certainement inventer l’histoire à enseigner dans ces classes.
Rien sur les héros qui se sont battu pour l’indépendance
Pour les classes de Terminale, en cours d’histoire les élèves ont au programme une œuvre intitulée Histoire tout simplement, d’un groupe d’auteurs français conduits par Jean Michel et édité par Hachette en 2015. Sauf erreur, compte tenu de la multiplicité des versions qui existe, le livre d’histoire en question a comme contenu le citoyen à Athènes dans l’antiquité, naissance et diffusion du christianisme, la Méditerranée au XIIème siècle, carrefour des trois civilisations, le temps de l’humanisme et de la renaissance, la révolution et les expériences politiques en France jusqu’en 1852, et les révolutions libérales et nationales. C’est dire que le contenu n’a rien à voir avec l’histoire propre du Cameroun. De la 6eme en terminale donc, l’histoire du Cameroun n’est pas enseignée à l’élève camerounais. Rien sur les héros qui se sont battu pour l’indépendance, rien sur le maquis qui a secoué le pays avec les répressions qui s’en sont suivies.
L’élève camerounais boucle ainsi son cycle secondaire sans rien connaitre de ses origines ni de de l’histoire de son pays, simplement parce que le programme scolaire en vigueur l’en écarte complètement, au nom du respect des Accords de coopération, que Célestin Bezigui appelle les accords de la honte.
Roland TSAPI, Journaliste