L’un des problèmes essentiels auxquels les parents d’élèves seront confrontés à la rentrée scolaire prochaine, est celui des frais d’Apee, entendez Association des parents d’élèves et d’enseignants. Officiellement, c’est depuis 2001, à la faveur du décret présidentiel numéro 2001/041 du 19 février 2001 portant organisation des établissements scolaires publics et attribution des responsables, que les Ape ont fait leur entrée dans la scène de l’éducation.
Le décret indiquait que les ressources de l’établissement proviennent entre autres des contributions volontaires des ces associations, qui étaient nées auparavant de la volonté des parents de pallier à certains besoins auxquels les établissements publics fréquentés par leurs enfants faisaient face. La dénomination a d’ailleurs évolué avec l’intégration en leur sein des enseignants : elle est désormais l’Association des Parents d’Elèves et d’Enseignants (APEE) et est devenue un acteur incontournable dans le financement des établissements publics et même privés.
Le Guide des personnels de direction des établissements d’enseignement secondaire du Cameroun, institué par l’Arrêté N°336/14/MINESEC/CAB du 12 Septembre 2014 par le feu Ministre Louis Bapes Bapes reconnaît sans ambages, s’agissant de ces associations que « elles sont devenues une composante de plus en plus importante dans la communauté scolaire parce qu’elles jouent un rôle essentiel de bailleur de fonds. De nombreux établissements ne fonctionnent qu’avec l’apport des APEE ». Il faut remarquer qu’il ne s’agit nullement « de nombreux établissements », comme l’affirme le ministre, mais de la totalité de nos établissements scolaires quel que soit l’ordre d’enseignement.
Facultativement obligatoire
Le premier aspect du problème de l’Apee est celui de la qualité de membre et de l’obligation d’y adhérer. Comme association, l’Apee est régie par la loi numéro 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association, qui dit en son article 2 que la liberté d’association est la faculté de créer une association, dʼy adhérer ou de ne pas y adhérer. D’après cette loi donc, les parents d’élèves sont libres d’adhérer à l’Apee ou pas. Mais dans la pratique, ils n’ont pas le choix, c’est une obligation. Au point où l’inscription d’un élève dans les établissements publics est désormais conditionnée par le paiement préalable des frais d’Apee, c’est avec le reçu de ce premier paiement que l’élève peut verser les frais exigibles qui valident son inscription dans un établissement. Cela se fait ainsi en toute illégalité, mais au vu et au su de tous. Le deuxième aspect du problème est celui de la qualité de membre. On ne sait plus si c’est le parent qui est membre de l’Apee ou l’élève. En effet, lorsqu’on paie les contributions, un parent qui a plusieurs enfants dans le même établissement le fait non pas une fois mais pour chaque enfant. Dans les normes, on serait attendu à ce qu’un parent paie sa contribution une seule fois quel que soit le nombre d’enfants qu’il a dans l’établissement, mais en faisant payer pour le nombre d’enfants, c’est comme si l’on le punissait pour avoir fait plusieurs rejetons et de les envoyer à l’école.
Certains adeptes de cette pratique se justifient par l’existence de deux circulaires ministériels qui rendent cette contribution obligatoire. Mais la question que l’on se pose est celle de la légalité de ces circulaires, car en principe et en droit, un décret est au-dessus de la circulaire. D’où sort-il qu’une circulaire rende obligatoire ce qui n’était que volontaire dans un décret présidentiel ? L’autre question souvent posée et qui légitime cette pratique est celle de savoir au nom de quoi fréquenteriez-vous dans une classe construite par des fonds que vous avez refusé de payer pendant que les autres ont accepté de les payer ? L’une de ces circulaires prévoit en effet que les fonds en provenance des APEE doivent servir, entre autres au paiement des enseignants vacataires, des surveillants de secteur, des gardiens, des personnels médicaux, à la construction des laboratoires et des salles de classe. Aucun texte ne fixe par ailleurs le montant des frais à payer. Chaque établissement scolaire, à travers cette association, arrête un montant chaque année et ces derniers sont aujourd’hui très loin au-dessus des contributions exigibles institués par l’Etat. Dans certains établissements, les contributions des APEE atteignent 25000fcfa alors que les contributions exigibles sont à 7500fcfa pour le premier cycle et 10000fcfa pour le second cycle. Lorsqu’on sait que certains établissements atteignent et dépassent 7000 élèves, on se rend compte que ces fonds qui proviennent des parents d’élèves sont considérables. Et bonjour les batailles.
Restrictions budgétaires
La situation est devenue telle que les parents d’élèves se sentent désormais abandonnés à eux-même entre les mains des dirigeants d’établissements, où on leur impose le paiement des frais d’Apee avant l’inscription. Les différents ministres de l’Education de base et des enseignements secondaires, d’après des témoignages, regarderaient ce phénomène sans le voir, eux-mêmes coincés par les restrictions budgétaires.
D’où le constat de la Fédération camerounaise des syndicats de l’Education (Fecase), dans un état des lieux rendu public le 10 octobre 2016, selon lequel nous nous situons là en plein dans un cas de privatisation de l’éducation. D’après elle, je cite, « tel que le ministre l’a reconnu, les APEE sont devenues des bailleurs de fonds pour les établissements scolaires publics. Et on constate que c’est finalement elles qui financent tout. C’est donc le lieu de constater froidement que l’Etat a démissionné de sa responsabilité qui est l’éducation de ses citoyens au profit des financements privés. »
Roland TSAPI, Journaliste