Après le discours, la célébration de la fête de la jeunesse. Le président de la République a dit à cette jeunesse camerounaise le soir du 10 février 2019 qu’il comptait sur elle pour relever de nombreux défis de la croissance ; avant de lui souhaiter une bonne célébration. Au soir de la célébration de cette fête, on peut retenir au moins deux clichés frappants.
D’un côté, une scène dans la capitale politique du Cameroun à Yaoundé, où les écoles sont sorties en nombre pour participer au défilé, scandant des chansons d’appel à l’unité, donnant l’impression d’une jeunesse pleine de vie et d’insouciance. De l’autre côté, une scène montrant l’esplanade de la place des fêtes de la capitale régionale du Nord-Ouest Bamenda, où 8 élèves exactement ont pris part au défilé. De ce côté il n’y avait que de la désolation et un malaise perceptible, même le taux de remplissage de la tribune officielle indique que personne n’a plus la tête à la fête.
De la fête populaire à la peur de fêter
Bien loin l’époque où cette fête était l’occasion pour les jeunes de casser leur tirelire et utiliser le contenu pour s’acheter sur la place de la fête ce qu’ils ne pouvaient se permettre ailleurs. Bien loin la période des retraites au flambeau le soir du 10 février où les enfants du club scout allumaient fièrement des flammes d’espoir qu’ils promenaient dans les rues de la ville, la chemisette bleue bien enfilée dans une culotte kaki, le tout assorti d’une cravate que la plupart portaient pour la première fois. Bien loin cette époque où la retraite aux flambeaux laissait ensuite la place aux soirées dansantes organisées à l’occasion, au cours desquelles cette jeunesse expérimentait pour la première les sorties de nuit ou les rendez-vous galants. Bien loin cette période où le défilé du 11 février était une occasion rêvée pour porter la tenue de la fête comme on l‘appelait à l’époque, tenue d’abord faite du pagne à l’effigie du président Ahmadou Ahidjo le grand Camarade, ensuite remplacé par des uniformes aux choix des établissements.
Tout cela relève d’un passé bien lointain maintenant, d’une époque dont les Camerounais d’un certain âge se remémorent en secouant la tête et en prononçant ces mots nostalgiques : le bon vieux temps. Aujourd’hui, loin de la capitale politique, la fête inspire la peur, l’incertitude. Cette 53eme édition a fini de convaincre que les choses ont évolué, négativement.
Comme la 52eme édition, elle a été en effet précédée des menaces et des appels au boycott de la part de sécessionnistes de la zone anglophone. La menace a d’ailleurs été mise à exécution le 10 février au soir à Kumba. Les sécessionnistes ont incendié l’hôpital de la ville, des malades précipités vers la mort par le feu. Les acteurs la crise anglophone pointent la date du 11 février comme l’une des dates de l’histoire camerounaise qui leur laisse un mauvais souvenir, et mettent désormais tout en œuvre pour empêcher qu’elle ne se célèbre. Surtout qu’à bien y regarder, ce que représente cette date du 11 février dans l’histoire du Cameroun n’a rien à voir avec la jeunesse.
Origines
D’après les archives, avec l’indépendance du Cameroun français le 1er janvier 1960 et du Nigeria 10 mois plus tard le 1er octobre 1960, se pose à ce moment la question de l’avenir du Cameroun britannique. La possibilité d’une indépendance totale est écartée, le représentant britannique au conseil de tutelle des Nations unies Andrew Cohen y étant opposé. Le 11 février 1961, un référendum est alors organisé sur cette partie du territoire, elle-même divisée en deux, pour déterminer si les populations de décidaient de se rattacher au Nigéria ou au Cameroun. A l’issue du vote, la partie Nord à majorité musulmane rejoindra le Nigeria où elle constitue aujourd’hui une grande partie d’Adamawa State. Tandis que le Sud majoritairement chrétien et animiste fusionnera avec l’ex-Cameroun français. Mais les défenseurs radicaux de la zone anglophone, disent aujourd’hui que ce referendum n’était en réalité qu’une mascarade organisée par le feu Ahmadou Ahidjo pour disséquer le Cameroun anglophone. Cette manigance se poursuivra d’après eux en 1972 avec un autre référendum tout autant contesté qui a consacré l’unification de ce qui restait du Cameroun britannique au Cameroun oriental français, c’était le 20 mai.
Suspicions
L’une des explications officielles avancées pour le choix de la date du 11 février en honneur à la jeunesse, est la volonté de rapprocher les jeunes de ces deux parties du pays, à la suite d’une mission d’observation du Commissariat à la Jeunesse, à l’Education et au Sport qui s’était rendue dans le Cameroun anglophone. Mais avec l’enlisement de la crise anglophone, certains protagonistes sont allées fouiller dans l’histoire pour ressortir toutes les dates importantes, avant d’isoler celle du 11 février comme n’ayant rien à voir avec la jeunesse, mais plutôt une subtilité pour continuer à célébrer une journée qui représenterait pour eux plutôt la division de «leur territoire» et plus tard l’absorption pure et simple par le Cameroun français.
C’est tout cela qui conduit aux images désolants aujourd’hui, sur lesquelles l’on voit 8 élèves défiler devant un gouverneur de région, parce que la jeunesse a peur. La fête de la jeunesse a perdu de sa superbe, malgré tous les efforts que les gouvernants font pour colmater les brèches et présenter une image plus reluisante. Sous d’autres cieux, le gouvernement se serait arrêté un moment pour déplorer cette situation, se remettre en question et admettre que rien ne va plus. Mais il ne sera pas étonnant qu’au lieu de cela, les autorités administratives de la Région du Nord-Ouest soient félicitées dans quelques jours pour le brillant succès qu’aura connu la célébration de la fête à Bamenda
Roland TSAPI