Malgré les missives des acteurs et amoureux des arts et de culture, dénonçant le projet de loi «liberticide» de Bidoung Mkpatt, le texte a été validé à l’assemblée nationale, sonnant le glas de la culture au Cameroun.
«Honorable Cabral, vous cognez fort sur le ministre.» C’est par cette phrase, qui frise un rappel à l’ordre, que le très honorable Cavaye Yeguié Djibril a volé au secours de Bidoung Mkpatt. Le ministre catapulté des Sports pour le département ministériel des Arts et de la Culture était cuisiné par quelques députés au sujet de son projet de loi régissant les associations artistiques et culturelles au Cameroun. Selon le ministre, l’illumination lui ai venue après avoir compris que la diversité des projets culturels et artistiques est une «dispersion des énergies…qui gêne.»
Ce texte n’est pas un nouveau challenge du ministre. Raison pour laquelle il est âcre pour la communauté artistique et culturelle. Qui n’a cessé depuis lors, de dénoncer ce projet «liberticide», tout en demandant aux élus de la nation de ne pas laisser passer le texte. Se muant en porte voix des artistes et opérateurs culturels, le député Cabral Libii Li Ngue Ngue n’est pas allé de main morte le 3 juillet, face à Bidoung Mkpatt. Le ministre Bidoung Mkpatt qui avait habitué les Camerounais à un challenge d’un autre genre a aujourd’hui, «appuyé sur dérangé. Monsieur le ministre, pourquoi n’avez vous pas consulté les artistes ? Vous avez certainement suivi le tôlé général qu’il y a; tous les collègues ici ont reçu dans les ib de leurs Whatsapp, des textes des artistes qui nous disent « sauvez-nous », « faites tout », « ne votez pas ce texte ». Pourquoi l’avez vous fait? », a martelé Cabral Libii. Et de poursuivre : «Quelle est l’inspiration qui vous a permis d’envisager l’encadrement géographique du génie de la culture ? Monsieur Atanga Nji qui était ici tout à l’heure est de Santa, il y a là bas une belle danse traditionnelle le Banglog je pense, laquelle est dansée jusqu’à Mbouda. Mais désormais avec cette loi, cette danse va être cantonnée à Santa parce qu’il y a désormais une géographie de l’art. C’est l’arrondissement. C’est aussi le cas si je suis un groupe de danse d’Obobogo Yaoundé 3, si je veux danser dans tout Yaoundé, je dois désormais me balader pour trouver d’abord une association si elle existe, dans les autres arrondissements pour que nous fassions une union pour qu’on puisse obtenir l’agrément que seul le Ministre que vous êtes, va délivrer. Même pas les délégués d’arrondissement, de département et même régionaux! Expliquez nous cette géographie du génie que vous venez de créer.»
Génie créateur
Joshua Osih du Sdf, Koupit Adamou de l’Udc, Salmana Amadou Ali du Fsnc…ont également désapprouvé ce texte, fruit du «génie» créateur du ministre. Mais grâce aux députés du Rdpc, le texte est passé. L’histoire retiendra que le 4 juillet 2020, le secteur de l’art et de la culture au Cameroun a officiellement été assassiné grâce à la loi du ministre Bidoung Mkpatt. Sur les réseaux sociaux, à travers les médias, les acteurs culturels disent être en plein cauchemar. Pourtant, «il y a eu des rencontres restreintes avec les coordonnateurs de ces acteurs par pôles artistiques pour que ces coordonnateurs puissent donner les préoccupations qui sont rencontrées sur le terrain. L’ensemble de tous ces éléments se répercutent sur cette loi en termes d’amélioration des conditions de vie, d’amélioration des infrastructures et des qualités de travail. Nous pensons que cette loi est en réalité, la somme des expériences tirées dans l’étendue du territoire», avait tenté de convaincre le Conseiller technique N°2 au Minac, Pr. Blaise Jacques Nkene sur les ondes de la Crtv.
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«La loi n’est pas adaptée au secteur culturel. Elle ne peut pas résoudre tous les problèmes du secteur comme ils essayent de le faire croire. Le gros problème avec ce texte sera de soumettre la réalisation de nos activités aux humeurs de quelques fonctionnaires qui ne savent même pas déjà ce que nous faisons» soutient l’opérateur culturel Tony Mefe. L’article 59 est une «bombe» selon Sam Mbende. Le président de l’Alliance panafricaine des auteurs-compositeurs parle même d’une «arnaque juridique».
Ledit article dispose : «Des textes particuliers fixent, en temps que de besoin, les modalités d’application de la présente loi». «Normalement, on, devait nous renvoyer à un décret. C’est la catastrophe. Quand viendront ces textes particuliers et ils seront de qui ? Du président de la République ? Du ministre ? Du 1er ministre ? C’est la cacophonie.» L’article 60 abroge «toutes les dispositions antérieures contraires» de la loi. Mais «de quelles dispositions parlent-ils ? On n’en sait rien. Il faut viser lesquelles. Ce texte est inapplicable en l’état», ponctue Sam Mbende. Non sans expliquer qu’en «Europe, on a d’abord crée des espaces, des salles de danses, de théâtres, de cinéma, des galeries, des salles de spectacles où les artistes organisés en fédérations indépendantes se déploient. Où sont les salles au Cameroun ? Où sont les infrastructures ? A quoi servent ces fédérations sans infrastructures. Le ministre dit que les artistes vont tourner dans les dix régions avec les fédérations. Le ministère a quel matériel ? Si un samedi, vous avez des artistes qui doivent jouer dans différentes villes, le ministère prendra le matériel où pour le mettre à leur disposition ?» Un chapelet d’interrogations devant cette loi qu’il faut le dire est «liberticide», martèle le président de l’Alliance panafricaine des auteurs-compositeurs.
«Le monde de la culture va mourir»
Producteur d’évènements depuis 1994, Sylvain Nkom est dépité. Le vote de la ‘‘loi Bidoung Mkpatt ’’ a été un choc. «Je suis perdu. Une loi est déterminée par l’esprit aussi. Maintenant, pourquoi ils apportent cette loi maintenant ? Pourquoi créer des problèmes où il n’y en avait pas. Le Cameroun a plusieurs défis en ce moment. Pourquoi nous organisé comme une fédération de football ? Est-ce que l’art et la culture répondent à ces critères ? Je m’attendais d’un ministre de la culture qu’il dise qu’il fera voter une loi qui pousse les grosses sociétés à avoir des abattements fiscaux pour que l’art existe. Je trouve que ce n’est même pas liberticide, c’est pire que ça. Imaginez qu’un homme culturel qui est aussi un homme politique de l’opposition veuille créer une association, elle lui sera difficilement accordée. Comment peut-on faire une loi pour les gens sans demander leur avis ? Je m’attendais à ce que le ministère dise qu’on va créer des pôles d’excellence dans tous le pays. L’art est une chose prise à part parce qu’il permet de montrer l’intelligence d’un pays. Je connais les faiblesses de cette loi, mais ses forces, non.»
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L’acteur culturel Philippe Essack ponctue que la loi Bidoung Mkaptt est une «catastrophe. Aujourd’hui, le monde de la culture va mourir, parce que moi je ne pourrais jamais faire le pied de grue devant un ministère pour obtenir l’agrément d’organisation d’un évènement. On connait la lenteur des fonctionnaires. Qui peuvent vous délivrer l’agrément de votre évènement, des mois, après la date dudit évènement. Qu’ils demandent les agréments aux sociétés de téléphonie mobile, pas au petit promoteur culturel que je suis, avec mes petits moyens de bords, sans sponsor. C’est la mort programmée de la culture. Pour que ton dossier passe, il faudra verser des pots de vin. Selon cette loi, si je dois organiser un évènement à Bali, je ne peux pas faire des affiches à Akwa. Ça veut dire qu’on emprisonne le Ngondo. Le Ngondo ne peut plus aller dans les différents cantons. Le Nguon n’aura plus une dimension nationale encore moins régionale, le Medumba ne sera plus une fête du Ndé, mais d’un quartier. Ces fonctionnaires n’ont même pas consulté un promoteur culturel ou des artistes, parce qu’ils estiment que les organisateurs culturels au Cameroun sont des ignares. » Ce qui est choquant et révoltant «c’est qu’on ne sait pas les difficultés que rencontre un opérateur culturel pour organiser un petit spectacle. Regardez la nullité des spectacles qu’organisent les fonctionnaires du Minac, regardez ce que la Crtv a présenté comme culture au monde, lors du tirage des différents groupes de la Can. Le son était nul pourtant le Camerounais Ambroise Mvoundi est le même ingénieur de son en Afrique, on ne l’a jamais appelé. Il y a des gens, il y a de la matière dans ce pays. Il faut qu’on respecte la culture. Le sport n’est pas la culture. Depuis que le Covid sévit au Cameroun, le ministre a donné quoi à un artiste?»
Pour certains acteurs du secteur de l’art et de la culture, l’heure n’est pas encore au deuil. Ils gardent l’espoir que le sénat rejette la loi du ministre.
Valgadine TONGA
Voici pourquoi la loi Bidoung Mkpatt ne peut être applicable… Par Sam Mbende
«En ce qui concerne la loi voici quelques incongruités :
-Les associations sont soumises à une double déclaration au Minat et ensuite au Minac. Les associations seront soumises à une autorisation en vertu d’un agrément de 5 ans chaque fois renouvelable et 10 pour les fédérations. Cette loi est liberticide. Tout ce qui peut y être appelé liberté est un leurre, par exemple le fait de faire croire que les fédérations s’administrent librement alors que l’article 22 dispose totalement le contraire. La loi est en train de capitaliser les arts et la culture. L’expression culturelle et artistique est sous l’égide de l’administration publique. Elle ne donne aucune liberté aux artistes. -Une autre curiosité de la loi, elle ne mentionne nullement la subvention telle qu’on le laisse croire au Minac. En somme rien n’est prévu pour le financement de l État pour ces structures. Il y aura environ 23 à 24 fédérations. Les associations à but non lucratif ne sont pas subventionnées au Cameroun, seuls les établissements d’utilité publique c’est-à-dire les fondations le sont. Dans cet environnement, que deviennent les entreprises culturelles qui sont des Sarl, SA et autres?
-Cette loi contredit la loi de 1990 sur la liberté d associations.
Elle est incohérente, son application est aléatoire d où le vacarme et les contestations des acteurs, les professionnels des arts et de la culture au Cameroun.
-In fine, si l’idée des fédérations est bonne et admise par tous, c’est la loi qui pose un problème de forme et de fond. Il faut la réviser, y apporter les amendements nécessaires pour le respect de la législation internationale en vigueur mais surtout pour le bonheur de tous les professionnels du secteur culturel au Cameroun. Les artistes comptent actuellement sur le Sénat et le Chef de l’État éventuellement.»