Face à la mort décidée pour lui par les hommes soucieux de conserver le pouvoir et la domination sur le Cameroun, Ouandié a refusé la grâce et préféré assumer son combat pour la libération totale jusqu’au bout, quitte à être exécuté sur la place publique.
Né en 1924, mort exécuté par fusillade le 15 janvier 1971, à l’âge de 47 ans. Ainsi peut se résumer l’épisode vie et mort de Ernest Ouandié. Par la Loi n°91/022 du 16 décembre 1991 portant réhabilitation de certaines figures de l’histoire du Cameroun, il a été élevé au rang de héros national. Article 1er.- (1) La présente loi porte réhabilitation de grandes figures de l’histoire du Cameroun, aujourd’hui disparues, qui ont œuvré pour la naissance du sentiment national, l’indépendance ou la construction du pays, le rayonnement de son histoire ou de sa culture. (2) En application des dispositions de l’alinéa (1) ci-dessus, sont réhabilités. MM. Ahmadou Ahidjo, Um Nyobé Ruben, Moumié Félix, Ouandié Ernest. Article 2.- La réhabilitation visée à l’article 1er ci-dessus a pour effet de dissiper tout préjugé négatif qui entourait toute référence à ces personnes, notamment en ce qui concerne leurs noms, biographies, effigies, portraits, la dénomination des rues, monuments ou édifices publics.» Cette loi est-elle la fin de l’histoire pour Ernest Ouandié ? Difficile de le dire. D’abord parce que l’aile dure de l’Union des populations du Cameroun estime encore aujourd’hui que cette loi était une moquerie parce qu’elle réhabilitait au même moment la victime et son bourreau, ensuite parce que depuis la promulgation de cette loi, les effets sont toujours attendus à ce jour. Toujours est-il que 20 ans après son exécution barbare, il lui a été reconnu le mérite d’avoir œuvré pour la naissance d’un sentiment national.
Accusé de tout
Pourtant, le 26 décembre 1970, il comparaissait, avec Monseigneur Albert Ndongmo et 26 autres coprévenus, devant le tribunal militaire de Yaoundé pour avoir, dans l’étendue de la région administrative de l’Ouest et du département du Mungo, courant 1961 à 1970, en tout cas dans le temps légal des poursuites : « Tenté par la violence de modifier les lois constitutionnelles ou de renverser les autorités politiques instituées par lesdites lois ou de les mettre dans l’impossibilité d’exercer leurs pouvoirs ; Dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, organisé, commandé des bandes armées dans le but de provoquer la guerre civile et de commettre la révolution ; Dans les mêmes circonstances de temps et de lieu et dans l’exécution des faits ci-dessus analysés, commis ou fait commettre des assassinats, des incendies, des arrestations et séquestrations de personnes, des pillages en bande ; De s’être dans les mêmes circonstances de temps et de lieu rendus complices desdits crimes. »
L’ordonnance de leur renvoi devant le tribunal militaire précisait qu’«Ouandié Ernest en sa qualité de vice-président de l’UPC, a pris le commandement des maquis du territoire en 1961 pour continuer la lutte révolutionnaire engagée par ce qu’on a appelé « Armée de libération nationale kamerounaise » ; que cette lutte avait pour but essentiel de faire abdiquer le pouvoir par les autorités en semant la terreur dans les populations par des assassinats, des meurtres, des incendies, des vols, des pillages, des enlèvements de personnes ; que c’est grâce au soutien sans réserve accordé par Mgr Ndongmo qui comptait exploiter cette occasion pour accéder à la magistrature suprême, que Ouandié a résisté aux opérations montées et effectuées par toutes les forces régulières du pays. »
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Devant ce tribunal, Ouandié s’était retrouvé sans conseil. Les avocats Jacques Vergès et Jean-Jacques de Felice, inscrits au barreau de Paris, et Ralf Milner, inscrit au barreau de Londres qu’il avait constitués depuis le 12 novembre 1970, n’avaient pas obtenu de visa pour se rendre au Cameroun et assurer sa défense. Il récusa Maître Orcel, l’avocat qui lui avait été commis d’office. Appelé à la barre par le président pour être interrogé sur les faits qui lui étaient reprochés, Ernest Ouandié déclarera qu’ « il s’agit d’un jugement de pure forme », qu’il lui est impossible d’être jugé, que le gouvernement veut l’abattre et que ce procès était une forfaiture, puis il resta sur cette position tout le long des débats. Le verdict sera prononcé le 5 janvier 1971, condamnant 3 accusés à mort dont Ernest Ouandié, Matthieu Njassep son secrétaire particulier et Fotsing Raphaël son compagnon au maquis. 10 jours plus tard, il est fusillé sur la place publique le 15 janvier 1971 à Bafoussam, avec Raphaël Fosting et Gabriel Tabeu dit « Wambo le Courant », fondateur et responsable politico-militaire du mouvement de la « Sainte Croix pour la libération du Cameroun », condamné à mort le 6 janvier 1971 dans le second procès ouvert contre Mgr Ndongmo.
La France voulait sa tête
D’après certains récits, les circonstances qui ont entraîné, voire précipité, son exécution sont relatées dans des confidences faites en août 1993 soit presque vingt-deux ans après les faits par l’un des barons du régime d’Ahmadou Ahidjo, Moussa Yaya Sarkifada qui raconte : « C’est Jacques Foccart qui était venu exiger l’exécution d’Ernest Ouandié. En effet, aussitôt après leur condamnation à mort peu avant Noël, Dongmo avait demandé la grâce présidentielle, mais Ouandié avait refusé de signer le recours en grâce ; presque chaque jour on lui apportait le dossier pour signer et il avait répondu à Ahidjo » Prenez vos responsabilités ; moi je prends les miennes devant l’Histoire « . Ahidjo était vraiment perplexe et la terrible année 1970 est finie. En début d’année 1971 Ahidjo espérait que l’affaire allait s’enliser et qu’on n’en parlerait plus, comme ça ils allaient rester vivants. Beaucoup de gens sont condamnés et jamais exécutés. Brusquement Foccart est venu et a tout précipité. Il était arrivé par avion un matin vers le 11 ou 12 janvier je ne me souviens plus exactement ; il s’est d’abord rendu à l’Ambassade de France ; puis à 11 H le Président Ahidjo l’a reçu au Palais. Quand Foccart est parti, j’ai retrouvé Ahidjo pour déjeuner. Foccart a dit à Ahidjo que le cas Ouandié est l’objet de son aller et retour avec ces mots: » le Président Pompidou va entamer prochainement son tout premier voyage en Afrique et le Cameroun est l’une des étapes. Il faut que cette affaire soit réglée avant l’arrivée du Président Pompidou, qui est imminente. Je pars à Libreville attendre. »
D’après ce récit donc, on voit que le français avait fini de donner des instructions et s’était mis en retrait pour voir l’exécution. Et il n’attendit pas longtemps. Ernest Ouandié fut extrait de la cellule pour Bafoussam ou il sera exécuté. Pourquoi Bafoussam ? Son secrétaire particulier Mathieu Njassep, encore vivant pense que c’était sans doute pour envoyer un message aux originaires de la région de l’Ouest, majoritairement engagés dans la lutte de revendication. Si Ouandié a été réhabilité 20 ans plus tard, c’est dire que son combat, quoique saboté pour des raisons politiques était noble, et c’est convaincu de cela qu’il répondait à ceux qui pensaient lui faire des faveurs en le graciant, qu’il prenait ses responsabilités devant l’histoire, et invitait les autres à faire de même. Une recommandation qui est encore plus que d’actualité aujourd’hui.
Roland TSAPI