L’expédition coloniale a vidé l’Afrique de près de 90% de ses objets de culte et d’adoration. Parmi ces objets, le Tangué du roi Lock Priso, exposé au Musée des Cinq continents à Munich. Pour des médias allemands, le silence assourdissant de la presse camerounaise, de ses universitaires et des Africains en général, ne plaident pas en faveur du retour des objets volés en Afrique.
Prince Kum’a Ndumbe III. Ce nom résonne comme le gong dans les esprits des partisans du colonialisme et des effets pervers que cette pratique monstrueuse a légué à l’Afrique. Ce ne serait pas une offense si ce patronyme devenu une référence, venait à être inscrit en lettres d’or dans l’histoire nationaliste post-coloniale africaine. Très connu sur le continent et à l’international, ce monument de l’Histoire du Cameroun, descendant de Lock Priso donne des insomnies à ceux qui s’en sont pris à la mémoire africaine. Il est l’incarnation du cauchemar pour cette race qui tente contre vents et marées à arracher à ce continent malmené, ce qui reste de l’héritage colonial.
A travers lui, le Cameroun est le premier pays africain a réclamé le retour des objets volés par les Européens pendant les expéditions coloniales. Vingt cinq ans déjà qu’il lutte pour le retour du Tangué sacré de son grand-père, Kum’a Mbappe, plus connu sous le nom de Lock Priso. Face à la presse nationale et internationale samedi 23 février dernier au siège de sa fondation, AfricAvenir à Douala, des dignitaires et universitaires, il a fait le point sur le combat pour la restitution du Tangué au Cameroun.

«Avant, les Allemands au Musée des Cinq Continents affirmaient que le Tangué est une acquisition. Quand je leur ai démontré, pendant des années que ce n’est pas leur propriété, ils ont ajouté qu’ils l’ont acquis légalement, du Consul Allemand. A la force de leurs propres textes juridiques de 1884, je leur ai prouvé que le recel est interdit. Et donc, ils n’ont pas le droit de l’avoir chez eux», explique le Professeur des Universités. Qui ajoute : «Maintenant, le Musée allemand nous sort une autre défense, comme quoi Kum’a Ndumbe est un illégitime. Il n’a pas le droit de demander le Tangué parce que ce ne serait pas le Tangué de Lock priso, mais de course de pirogue. Par conséquent, c’est le Tangué des Bele Bele (à Bonabéri, ndlr) et c’est au chef Bele de réclamer le Tangué.»
Le tangué d’un roi n’est pas le tangué d’une course de pirogue, ponctue Kum’a Ndumbe. «Il n’est pas simple, parce que c’est lui qui protège le roi dans ses déplacements, raconte-t-il. Lock Priso avait dit dès le départ qu’il ne veut pas être colonisé, et que même si on lui donne de l’argent, il ne signe pas. Malgré son refus, les Allemands avaient hissé le drapeau le 28 août 1884 sur le territoire. Dans une lettre adressée aux Allemands, il leur demande de descendre le drapeau. Devant le silence arrogant des Allemands, Lock Priso va enlever le drapeau. Un affront pour les Allemands, qui vont bombarder le palais royal de Lock Priso. J’ai trouvé des archives qui viennent des Etats-Unis. Quand ils viennent bombarder, ils ne trouvent personne, parce que l’alerte avait été lancée grâce aux tam-tams qu’on utilisait avant pour communiquer. Le Consul allemand va fouiller le palais à la recherche de trésors et de graphiques. Quand il ressort avec le Tangué, il dit : «Voici la proue princière de Lock Priso, mon butin le plus précieux. Il va aller à Munich».

Désintérêt de la presse africaine
Le Tangué est à Munich jusqu’aujourd’hui. Après 25 ans de lutte quasi individuelle, Munich trouve toujours des subterfuges pour contrecarrer les actions du Prince Kum’a Ndumbe III. Il se réjouit tout au moins parce que le débat sur la restitution des objets de culte africains enfle en Europe. Ce qui hélas, n’est pas encore le cas en Afrique, reconnaît Joerg Haentzschel. Journaliste allemand, il nous confie être en visite de travail dans des pays en Afrique, pour étudier l’opinion des Africains sur la question. «En Allemagne, on connait l’opinion des gens, mais j’étais frustré de ne pas savoir ce que pensent les Africains eux-mêmes sur le sujet. J’ai finalement décidé de visiter certains pays africains, et le Cameroun est idoine parce qu’il a été une colonie allemande. En Europe, on n’entend pas beaucoup de voix venant d’Afrique sur ce sujet. J’ai eu à interroger des personnes en Afrique mais elles ne m’ont jamais répondu. C’est très difficile d’avoir des avis là-dessus pourtant je vous assure que le sujet fait des vagues en Allemagne», argue Joerg Haentzschel. En Allemagne, les opinions s’opposent. «Plusieurs personnes veulent la restitution aux Africains de leurs objets de culte, mais le Musée de Munich, comme a dit le Prince Kum’a Ndumbe, refuse, prétextant qu’il n’a pas la légitimité pour faire cette demande. Le fait est que le Musée ne veut absolument rien rendre même si le gouvernement allemand est beaucoup plus ouvert sur la question. Le prince n’est pas aidé dans son action parce que le gouvernement camerounais ne fait aucune réclamation. Ça conforte le Musée. Les universitaires, les médias camerounais, les artistes et les Africains devraient prendre au sérieux cette problématique.»
30.000 objets de culte et d’adoration volés en Afrique sont exposés au Musée des Cinq Continents à Munich. Le Tangué est le seul à être réclamé. C’est dire à quel point les Etats africains n’ont aucun intérêt pour cette affaire.
Valgadine TONGA
Réactions :
Noukeu Serge (Chef de service des musées du Minac) : «Plus de 80% de notre patrimoine est à l’extérieur»
Nous suivons très bien le cas du Tangué au ministère, c’est la raison de ma présence ici. Il y a déjà eu des réunions. Je dois avouer que la très haute hiérarchie s’intéresse à ce problème et les différentes réunions qu’il y au eu au ministère des Arts et de la Culture et la primature, il est question de trouver les mesures appropriées pour faire rentrer tous les objets au-delà du Tangué. On avance. On est en train d’identifier les objets. On peut vous dire de façon à peu près précise les musées où se trouvent les objets camerounais, aussi bien en Allemagne qu’en France. Pour réclamer, il faut déjà savoir où les objets se trouvent. Concernant par exemple le «ngonso» que le Général Pavel a pris à Kumba, on sait où il se trouve en Allemagne. L’Etat du Cameroun a écrit à l’Etat de la Bavière dans ce sens pour récupérer le «ngonso» et le remettre au Fon de Nso. Il y a un certains nombre d’initiatives que l’Etat est en train de prendre par rapport au problème de restitution. Plus de 80% de notre patrimoine est à l’extérieur et la colonisation y est pour beaucoup.
Prince Kum’a Ndumbe III : «L’Afrique n’ira nulle part si elle n’arrive pas à récupérer sa mémoire»

Il s’agit d’abord de rendre à l’Afrique sa mémoire qui lui a été volée de manière très violente. Selon les régions africaines, il y a 130 ans, 150 ans, 200 ans. Il s’agit de rendre à l’Afrique sa mémoire collective parce que l’Afrique que vous voyez aujourd’hui n’ira nulle part si elle n’arrive pas à récupérer sa mémoire. Et sa mémoire lui a été volée exprès. Ceux qui l’ont volée savaient très bien ce qu’ils faisaient. Il s’agissait de vider l’Africain, pour qu’il ne se retrouve plus, et qu’il se mette à chercher de l’aide partout. Vous êtes l’origine de l’humanité, ceux qui ont créé, structuré l’humanité pendant plus de 200 milles ans, parce que ce que beaucoup d’Africains ne savent pas, c’est que pratiquement pendant 200milles à 300milles ans, il n’y avait que des Noirs sur la terre. La dépigmentation de la peau date de 10mille ans. Les Africains sont devenus les esclaves des autres parce qu’on vous a enlevé systématiquement votre mémoire.
Recoupées par Valgadine TONGA