À Douala, l’exposition « Comme hier, nous sommes UN », présentée au Up High Lab, dans le cadre du Sammuf 2025, réunit onze artistes camerounais qui, par la photographie, la peinture, l’illustration et l’art digital, redessinent les contours d’un imaginaire commun. Chaque œuvre, en dialogue intime avec les mémoires du Mboa, dépasse l’esthétique pour affirmer un geste qui répare où réinvente.
Dans un pays où la mémoire peine parfois à trouver des lieux d’expression, « Comme hier, nous sommes UN » apparaît comme une vigie. Loin d’un événement mondain, cette exposition propose un espace d’engagement et d’interrogation. Onze artistes, jeunes mais conscients, posent leurs regards sur ce que signifie être Camerounais aujourd’hui, entre héritage ancestral et futur incertain. Leur point de départ commun , le « Mboa », ce terme Sawa qui signifie à la fois maison, communauté, berceau et identité.
C’est là toute la richesse de cette démarche : partir du sol pour retrouver le ciel. Ces artistes fouillent la terre de l’histoire, les plis de la douleur et les éclats de beauté pour faire surgir une parole nouvelle. Une parole de transmission, certes, mais aussi de réparation.
Le visage de la mémoire
Chacun des artistes livre, avec une sincérité criante, un fragment de cette fresque collective. Sous le nom d’artiste Esti’Art, Estelle Tini redonne souffle et couronne à la femme africaine. Ses œuvres, riches en matières et en reliefs, ne sont pas simples portraits. Elles sont autels. À l’aide de matériaux récupérés et de couches de peinture acrylique, elle reconstruit un panthéon féminin où chaque silhouette est une prière contre l’effacement. « Je remets la couronne de la femme africaine à sa place », affirme-t-elle avec la gravité de celles qui savent qu’elles peignent pour réparer l’histoire. Là où le discours échoue, ses couleurs parlent. Son art s’inscrit dans la continuité des combats menés par les femmes pour leur reconnaissance. Chaque œuvre devient un acte de justice, un geste politique, une mémoire incarnée.
Avec une démarche subtilement transversale, Dimitri Tenda lie l’enfance à la modernité. Ses œuvres Vitalité et No Matta mêlent iconographie numérique et héritage du réel. L’enfant y devient oracle, et le jeu, rite d’initiation. « Je veux faire dialoguer le passé et le présent », confie-t-il, en évoquant son père photographe.
Le photographe Étienne Talla transforme la photographie en un instrument d’archéologie intime. Ses séries Koko Komegne, Au village et La Terre patrie sont des méditations silencieuses sur le lien entre l’homme et sa terre. « La terre, c’est l’humanité », confie-t-il, dans une formule qui résonne comme un adage initiatique.
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Etienne capte des scènes rurales, des visages ancestraux, des moments suspendus. Chaque photo est un lieu de mémoire, un espace de recueillement. Ici, la ruralité devient poétique, le sol devient texte, et l’appareil photo devient témoin d’une mémoire trop souvent marginalisée.
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Figure tutélaire, Koko Komegne ne présente pas d’œuvres, mais sa parole plane sur toute l’exposition. Dans sa sobriété, il rappelle aux jeunes artistes l’exigence du vrai. « Il y a des œuvres dilettantes, mais aussi des œuvres matures. Notre art doit prendre en compte les aspirations de ce peuple-là », affirme le maître de la leçon. Par ces mots, il trace une ligne rouge : l’art n’est pas pour plaire, il est pour servir. Sa voix tranche le tumulte des modes pour appeler à une esthétique de responsabilité. « Une image juste est plus qu’une image belle. Elle est une vérité silencieuse », affirme Koko Komegne.
Catharsis communautaire
Coach en discernement, Zak Dam propose une approche radicalement intérieure. Pour lui, l’art n’est pas un produit mais une vibration. Il parle d’une mathématique du ressenti, où chaque œuvre est avant tout une onde, une sensation. « L’art doit être au service du bien-être de l’humanité », insiste-t-il. Au-delà des styles, des supports, des ego, une cohérence s’impose : le retour à la matrice. Cette exposition n’est pas une compétition de talents. C’est une incantation commune. Le Mboa devient à la fois socle, fil d’Ariane et horizon. Chacun revient à ses racines, mais pour mieux construire un avenir. Ce n’est pas un repli identitaire. C’est un ancrage.
« Comme hier, nous sommes UN » dépasse sa condition d’exposition. Elle est une tribune, un chant qui relie l’artiste à son peuple. Et c’est au public d’en faire germer la conscience. « Faire de l’art pour l’Autre, c’est se déposséder de sa voix », disait Koko.
En réaffirmant que l’art est un outil de réconciliation, « Comme hier, nous sommes UN » devient acte politique. Elle rappelle, avec une douceur grave, que créer, c’est guérir. Que transmettre, c’est résister. Et que se souvenir, c’est déjà renaître.
Cheikh Malcolm Radykhal Epanda