Jean Miche Kankan avait le génie de nous tordre de rire, René Dieudonné Foudda nous subjuguait de sa voix. L’homme qui, plus que l’ombre de Kankan était devenu son frère dans la vie réelle, a disparu des projecteurs après le décès de son compère. Il nous a fallu bien du temps et des stratégies pour lui mettre la main dessus et obtenir de lui cet entretien à bâtons rompus. Bonne lecture !

Que devient René Dieudonné Foudda ?
J’essaie de continuer d’allier mes 2 passions de toujours : le journalisme et le théâtre, ou plus largement, la culture. Mes journées sont rythmées par la lecture, l’écriture, les promenades et le repos.
Votre voix a fasciné toute une génération. D’où vous vient-elle ?
Mon timbre vocal est inné. Quant à l’articulation et le débit, je les ai travaillées. Depuis la classe de 4ème, quand j’avais décidé que je ferais plus tard de la radio, j’avais pris l’habitude de lire des textes à haute voix et m’enregistrer sur cassettes. Je me réécoutais et je corrigeais ce qui me semblait être des défauts. Par exemple j’avais un débit trop rapide à mon goût, je parlais dans la gorge et j’avais tendance à avaler certains mots. Il en reste d’ailleurs des réminiscences (rires). Je m’étais donc employé à réguler ma diction afin de la rendre plus audible, plus mélodieuse et plus fluide.
Comment s’est faite votre rencontre avec Kankan ?
J’avais entendu Kankan à la fin des années 70, début 80 lors de son premier passage à Radio Trottoir, une émission présentée à l’époque par Albert Mbida. Son style m’avait tout de suite accroché. Le lendemain, je l’avais reconnu instinctivement dans la cour de Radio Cameroun alors que je ne l’avais jamais vu auparavant. Tout de suite, le courant était passé entre nous, puisque de son côté, il me confessa qu’il était fan de mes émissions. Etant donné que parallèlement à mes activités radiophoniques, je jouais dans une troupe théâtrale, l’idée de jouer ensemble s’était imposée d’elle-même quand il fallut mettre sur pied la première troupe théâtrale de Jean Miché Kankan dénommée « Les Magouilleurs ». Nous avions 23 ans environ chacun.
Comment on se sent dans la peau du « dernier mohican » étant donné que beaucoup de ceux avec qui vous avez cheminé tout au long de cette belle aventure, ne sont plus de ce monde ?
Ils ne sont pas si nombreux que cela, ceux qui sont partis par rapport à ceux qui restent. Trois exactement nous ont quittés. Parmi les plus marquants, hélas ! : Hélène (Sérange Mebina), l’infirmière/fille du bar/sœur de Dieudonné (Judith Abono) en plus de l’immense Jean Miché Kankan (Afana Ebogo Dieudonné). Pour répondre précisément à votre question, je me sens un peu orphelin et j’ai tenté d’occulter cette partie de ma vie en me détournant complètement du théâtre après la mort de Kankan, au point même où je ne voulais plus regarder nos sketches et ce, pendant 13 ans. Il a fallu que de nombreux fans me témoignent leur amour et leur passion pour nos œuvres à travers les réseaux sociaux pour que je décide de faire mon deuil et que je prenne la résolution de célébrer et perpétuer l’héritage culturel de Kankan.
Quels rapports avez-vous gardé avec la famille de ces illustres disparus ?
D’excellents rapports. Après plus de 20 ans, j’ai retrouvé lors de mon récent séjour au Cameroun, la famille biologique de Kankan. Sa sœur aînée que nous considérions tous les 2 comme une mère n’arrêtait pas de pleurer à chacune de nos rencontres. Elle disait revoir son frère à travers moi. Elle m’aura entouré de beaucoup d’affection, prenant régulièrement de mes nouvelles lorsque nous ne pouvions nous voir. Il en est de même des enfants de Kankan. Ils m’appellent affectueusement « papa ». J’ai rencontré aussi l’une des 2 filles de Judith Abono. Emotion garantie.
Racontez-nous l’un des plus beaux souvenirs que vous gardez de lui ?
Je revis son émotion le jour où l’ancien président de la République du Togo, Ngnassimbé Eyadema nous avait reçus en hôtes de marque dans son palais. Kankan n’avait jamais imaginé que lui, le petit Afana, pouvait être apprécié au point de se faire inviter par un chef d’Etat. Il en avait les larmes aux yeux.
Pourquoi avait-il choisi dans ses sketches, d’interpeller la société sur des problèmes comme la consommation abusive de l’alcool, les tracasseries policières etc ?
Il était dans son rôle. Ce n’était pas de l’art pour l’art, de l’humour pour de l’humour. C’était de l’humour pour dire des maux avec des mots comiques. Il voulait à travers le rire, attirer l’attention de la société sur certains de ses travers.
Plus d’une quinzaine d’années après la disparition de Jean Michel Kankan, ses œuvres continuent de captiver le public. Peut-on conclure qu’il était un visionnaire ?
Visionnaire, je n’en sais rien. Une chose est sûre, les thématiques abordées ne relevaient pas du hasard. Le choix s’opérait sur 2 critères au moins : atemporalité et universalité.
En mai dernier, vous avez été auréolé du « Prix Jean Michel Kankan » lors du Festival international des images comiques (Festico). Songez-vous à pérenniser à votre manière, l’œuvre de votre inséparable compagnon de scène.
Je le fais déjà. A ma manière comme vous dîtes si bien. Je lui ai consacré une série documentaire diffusée sur la CRTV de décembre 2018 à février 2019. Une série en 20 épisodes sur sa vie, son parcours, sa personnalité et son personnage. D’autres projets sont à venir.
Des images de la tombe en ruine de Kankan à Nkom circulaient récemment sur la toile. Que vous inspirent-elles et où en êtes-vous avec le projet de construction du Mémorial JMK ?

Dieu, merci, ces images relèvent du passé. La tombe actuelle du roi de l’humour est plus décente. Elle a été récemment réfectionnée grâce à une subvention que nous avions sollicitée auprès du Ministère des Arts et de la Culture. Toutefois, nous sommes encore loin du compte par rapport à notre projet mémoriel. Le Mémorial Jean Miché Kankan dont j’ai exposé la maquette sur les réseaux sociaux nécessite des moyens plus importants. Jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu le moindre centime à cet effet. Nous sollicitons toutes les bonnes volontés pour nous aider à le réaliser. Toutes les indications sont contenues dans la page facebook KANKAN FOR EVER.
Quel regard portez-vous sur la jeune génération d’humoristes au Cameroun ?
A chaque époque, à chaque génération, ses génies. Je me refuse à comparer. Ce qui m’importe, c’est la créativité, l’originalité et la capacité pour l’humoriste à atteindre l’objectif, à savoir, faire rire le plus grand nombre. Ces éléments, je les retrouve chez certains jeunes humoristes. Ce qui est contreproductif de mon point de vue, c’est l’imitation jusqu’à la caricature d’un modèle. Oui, Kankan est unique. Chaque humoriste devrait s’employer à développer son génie propre afin d’être unique.
L’humour n’est-il pas aujourd’hui, l’enfant pauvre de l’Art au Cameroun ?
Je ne saurais répondre à cette question, étant un peu coupé de notre environnement artistique et ne disposant donc pas d’informations actualisées dans le domaine. Toutefois, il n’est un secret pour personne que l’art en général est en difficulté au Cameroun depuis de trop nombreuses années. Les problèmes des droits d’auteur l’attestent. L’humour qui fait partie de l’activité artistique est donc en difficulté. Il serait temps de trouver des solutions pérennes à ces problèmes. Il serait également temps de créer un environnement propice à la mise en place d’une véritable industrie culturelle dans ce pays bourré de talents.
Entretien avec Valgadine TONGA