Parmi les revendications formulées par les enseignants dans le cadre de la grève qu’observent ces derniers depuis près d’un mois, ils réclament l’application d’un Statut spécial des enseignants au Cameroun. Cette réclamation soutiennent-ils occupent une place centrale dans leurs revendications. Jean Rodrigue Kenfack Nandjou, enseignant de philosophie, Secrétaire d’Arrondissement de Douala IV du SNAES (Syndicat national des enseignants du secondaire), chargé de la communication pour le Littoral présente dans cet entretien le Statut spécial de l’enseignant.
LVDK : Vous avez pris connaissance du document présentant le statut spécial de l’enseignant adressé au Président de la République, pourquoi faut-il un Statut spécial de l’enseignant ?
Déjà je voudrais préciser qu’en ce qui concerne le statut existant, c’est un statut particulier. Dans le corps des Magistrats, ce statut a pour adjectif Spécial. Par souci d’équité dans le traitement des fonctionnaires, il va de soi que le mouvement OTS ait opté pour cette appellation. Statut spécial donc parce qu’il marquera beaucoup plus sa mise en application spécifiant clairement les privilèges administratifs et financiers dus aux enseignants suivant leurs expériences professionnelles respectives.
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LVDK : Le document émane du mouvement OTS, est-ce que tous les autres mouvements et syndicats d’enseignants ont été mis à contribution dans la rédaction de ce statut ? Approuvez-vous le contenu ?
Je voudrais souligner fortement ici que le mouvement OTS n’a fait que reprendre un ensemble de réclamations que les syndicats formulent depuis des années à l’endroit de l’Etat. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’intersyndicale a soutenu le mouvement OTS dès le départ. La différence entre l’intersyndicale et le mouvement OTS sur les revendications est inexistante. OTS a innové par une grève muette et acéphale avec pour modus operandi : la craie morte. Car, la corruption ayant fait son nid dans les démarches lors des négociations avec l’Etat durant les précédents débrayages, le mouvement OTS s’est démarqué en évitant de se fondre dans un visage unique qui aurait aussitôt été corrompu et la grève noyée. Il a pris le visage de tous les enseignants en situation de clochardisation. Voilà pourquoi les enseignants de tout bord s’y reconnaissent. L’écho de la craie morte parle de lui-même au regard de ce qu’il a été suivi partout dans le pays. Tout en rappelant qu’il n’y a pas véritablement une différence de fond entre OTS et l’intersyndicale, puisque ce sont les mêmes acteurs qui sont à la manœuvre, c’est-à-dire les enseignants que l’on soit dans l’un ou dans l’autre groupe, le document émane d’une contribution éclatée. OTS a lancé un appel à contribution pour toutes les personnes de bonne foi. Chacun a égrainé un chapelet de propositions pouvant coïncider avec le problème à résoudre. Et c’est à partir de son propre lieu de parole, c’est-à-dire de l’expérience égoïste des acteurs de terrain que la copie provisoire a été arrêtée. Elle est justement provisoire parce qu’elle ne sonne pas la fin de la réflexion.
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LVDK : Pouvez-vous nous présenter ce statut ?
Le nouveau Statut spécial des fonctionnaires de l’éducation nationale que propose le mouvement OTS est structuré en huit grands titres :
Pour les titres 1, 2, 3, 4, 5 et 6, liés aux dispositions générales, il définit les missions dévolues aux fonctionnaires du corps de l’éducation nationale au Cameroun. Pour chaque corps, il précise l’organisation du cadre, son mode de recrutement, et les dispositions transitoires. Les corps ici concernés sont 1-le corps de l’enseignement maternel et primaire et normal ; 2- le corps de l’enseignement secondaire général, 3- le corps de l’enseignement technique et professionnel ; 4- le corps des conseillers d’orientation scolaire, universitaire et professionnel ; 5- le corps de l’enseignement de l’éducation physique et sportive. Il définit, en titre 6, pour chaque niveau les dispositions communes, les grades et les catégories.
Les titres 7 et 8 statuent sur les droits et obligations spécifiques des corps de l’éducation nationale. Ici sont égrainés le droit à la sécurité et à la protection, les mutations, les obligations spécifiques, le profil de carrière, la retraite et les salaires. Pour terminer, on a les dispositions finales. Ce document s’achève en annexe avec une proposition des salaires, primes et des indices ainsi qu’une nouvelle grille salariale.
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Pour le corps de l’enseignement secondaire général par exemple, la signature et l’application dudit Statut Spécial fera qu’on passera de 219.000 FCFA à approximativement 595 000 FCFA pour un PCEG (Professeur des collègues d’enseignement général) et de 228 000 FCFA à environ 670 000 FCFA pour un PLEG (Professeur des lycées d’enseignement général). Vous comprenez bien en quoi il est crucial qu’il soit signé et appliqué pour redonner à l’enseignant sa dignité au Cameroun. Notons que ces salaires sont similaires à ceux qu’on retrouve dans les grilles salariales des autres corps de métiers disposant d’un statut spécial et équivalent aux catégories similaires. Aucune augmentation n’a ici été effectuée et les enseignants ne réclament qu’un traitement équitable des fonctionnaires dans notre pays. Ce que prévoit d’ailleurs la loi.
LVDK : Quelles améliorations apporte-t-il par rapport à la situation actuelle ?
Le Statut spécial proposé par le mouvement OTS, par rapport à la situation actuelle, propose :
– L’octroi d’un passe sanitaire pour le fonctionnaire et sa famille nucléaire,
– La scolarisation gratuite des enfants légitimes des fonctionnaires,
– L’insertion dans le salaire d’une prime de risques pour les enseignants affectés dans les zones à risques ainsi que des dispositions visant à assurer leur sécurité.
– L’harmonisation de la prime de rendement trimestriel et son insertion automatique dans le salaire.
– La prorogation à 65 ans l’âge de départ à la retraite. À ce niveau, personnellement, je marque mon désaccord vu qu’il ne s’agit pas pour nous de nous éterniser dans l’enseignement. En plus, les nouvelles générations auront besoin de nous remplacer.
– Une grille salariale avec un taux indiciaire de base de 542 FCFA, au lieu de 165 FCFA.
– L’échelonnement à 20% du salaire de base de non logement. Cela permet d’établir concrètement l’équité dans le traitement salarial des fonctionnaires du corps de l’éducation avec d’autres corps disposants de leurs statuts spéciaux. Les indemnités de non logement vont de 60.000 FCFA à 100.000 FCFA suivant les catégories.
– Le plafonnement de l’indice solde en A1 à 1140 et en A2 à 1400 au lieu de 1050 et 1140 respectivement comme avant.
– Que les frais de mission et de relève seront calculés par kilomètre, soit à 1.000 frs CFA pour 1km.
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LVDK : Malgré les mesures prescrites par le Chef de l’État pour résoudre les revendications exprimées par les enseignants, la grève se poursuit, ne se dirige-t-on pas vers un enlisement de la grève avec les scissions qui se sont créés au sein des enseignants ?
Il n’y a aucune scission entre nos collègues. La preuve est que nous sommes en train de poursuivre ce débrayage, aussi bien au niveau de l’intersyndicale que du Mouvement OTS. Si vous parlez de scission en référence à la sortie maladroite de faux interlocuteurs qui viennent lever le mot d’ordre de grève alors qu’ils n’en avaient pas qualité et que cette décision n’émanait pas d’un consensus clairement assumé par les parties en discussion le 13 mars, je peux déjà vous dire que cela fut un coup d’épée dans l’eau. La division entre les enseignants peut difficilement s’enregistrer en ce moment. Car tout enseignant se retrouve dans ces revendications. Tout enseignant vit quasiment la clochardisation de la même manière. Et c’est cette clochardisation qui solidifie le mouvement, qui justifie qu’on veuille que le Président de la République prenne des mesures satisfaisantes aux revendications formulées par le mouvement OTS, afin de nous permettre de retourner dans nos salles de classe. La grève des enseignants n’a jusqu’ici durée que parce que les collaborateurs du Chef de l’État ont émargé dans les registres d’intimidation, de menaces de suspension de solde, de quête de supposés leaders, bref de démarches de répression. On croirait qu’il suffirait de supprimer le moindre supposé leader pour que le problème soit résolu. Mais non. La grève ne persiste que parce que le problème reste sans solution. Elle s’enlise parce que le gouvernement le veut bien. D’aucuns craignent le spectre d’une année blanche. Je pense que cela n’a pas lieu d’être. Car, je persiste à le dire, nos collègues ont été déjà par le passé en face des situations plus contraignantes pour que les résolutions satisfaisantes, une fois acquises, ne débouchent pas sur notre abnégation pour nous mettre à la page et conduire la fin d’année à son succès ainsi qu’à celui de nos apprenants qui nous manquent déjà assez.
Entretien avec Blanchard BIHEL