Bertrand Gattegno réalise son rêve africain en illuminant les yeux des orphelins de la capitale économique camerounaise.
«C’est Tonton Bertrand qui l’a fait… C’est grâce à Tonton Bertrand.» On n’entend que ce nom dans les bouches des tout-petits ce mardi 9 avril 2019. Il est environ 17h dans les locaux de l’Institut français de Douala. Le hall grouille de monde. Les enfants sortent en file indienne de la salle de spectacle. Chacun tient dans entre les mains un diplôme et une photo portrait de lui. Les sourires qui illuminent leurs visages sont contagieux. «Pourquoi es-tu si contente ma chérie» ? A notre question, la petite Estelle n’a de réponse que des rires. Son ami qui arrive à juguler sa joie nous dit : «Nous avons reçu des photos. Voici la mienne et c’est nous-mêmes qui nous sommes filmés, grâce à Tonton Bertrand. Il nous a formés.»
Photographe professionnel spécialisé dans la photo de scène, Bertrand Gattegno est un amoureux des rencontres, du savoir, du partage, de l’Afrique. L’un des rêves de ce Français était de découvrir ce continent. Chose qu’il a faite en 2017, en foulant le sol camerounais dans la suite d’Emmanuel Pi Djob. Lire aussi :Spectacle : Douala s’envole pour les Etats-Unis
Ce fils Camerounais qui réside en France donnait son tout premier concert au pays natal, et Bertrand Gattegno tenait à être de la fête. Après avoir immortalisé en images toute la semaine d’Emmanuel Pi Djob, il a choisi de prolonger son séjour, cette fois pour des œuvres caritatives. Il se rend en octobre 2017 à Baham dans l’Ouest Cameroun «pour enrichir la photothèque d’un centre pour handicapés qui veut des fonds et qui avait besoin de photos pour aller chercher ces fonds. J’étais descendu à Yaoundé pour le Festival Escale poétique et j’avais terminé dans un orphelinat. Je me suis permis de voler le concept d’un Américain qui propose que le premier samedi de décembre, les photographes donnent leur journée à des gens qui n’ont pas accès à la photo, que ce soit financièrement ou culturellement. Je l’ai fait avec les enfants de cet orphelinat à Yaoundé. On avait fait des groupes d’une dizaine d’enfants qui changeaient tous les jours. Sur Douala, on a changé le concept, un seul groupe sur toute la semaine de l’atelier. J’avais une vingtaine d’enfants. C’était un peu costaud à tenir mais on a fait avec», explique-t-il aux médias.
Les orphelins du Centre d’accueil des jeunes nécessiteux de Japoma (Cajen) étaient donc à l’école de la photographie pendant une semaine. Soit une vingtaine d’enfants âgés de 2 ans à 15 ans. Ils n’avaient jamais pris de photo auparavant et ne détenaient aucune photo d’eux. «Derrière les photos basiques, je leur ai appris les types de photos. Qu’est-ce que je veux faire comme types de photos, du portrait, du reportage ou de l’art ? On explique ce qui peut exister et chacun crée ce qu’il veut selon son imagination. Je leur apprends aussi ce que s’est qu’un boitier, un objectif… Comment on les entretient. J’essaie de les amener vers la réflexion sur l’art. Que serait une photo d’art ? A Cajen, aucun enfant n’avait jamais pris une photo et la seule photo qu’ils avaient d’eux était celle présente dans le dossier de leur directrice. Aujourd’hui en leur remettant leurs diplômes et leurs portraits, je leur remets leurs toutes premières photos. Comme nous sommes à l’Ifc, les journalistes se sont déplacés, ça contribue à ce que l’enfant reçoive quelque chose de fort. Ils ne peuvent qu’être heureux. Si ils sont heureux, ça me suffit». Les œuvres de l’exposition «Visages d’enfants» arpentent les murs du hall de l’institut français. Outre les photos prises par les enfants, le photographe présente également la rubrique «Muna du Mboa» (enfants du pays en langue duala). En gros plan, des portraits de Benilde Foko, Emmanuel Pi Djob, Ghislaine Mbarga, Didier Likeng, Verushka, Monique Sylva Fouda, Muzeyi Um, Rass Nganmo… «Ce sont des musiciens camerounais. Le thème de l’exposition c’est «Visages d’enfants» et à travers ces musiciens, je présente les enfants chers du pays.»
Directrice du Cajen, Maximilienne Yedna a «beaucoup apprécié l’atelier de Bertrand parce que les activités de ce genre sont rares. Les enfants connaissent aujourd’hui comment filmer. S’ils ont les appareils, ils vont se perfectionner. Cette activité peut susciter des vocations. La photographie est un beau métier qui devrait être enseigné dans nos écoles. Nous avons besoin des métiers techniques, pratiques.» Bertrand Gattegno craint hélas de mettre fin à ce type d’initiative, car «tout est à mes frais. Je suis limité financièrement. A Yaoundé j’avais remis aux enfants des appareils photos, des batteries, des cartes mémoires…ce que je n’ai pas pu faire à Douala.»
Valgadine TONGA