La nuit du 31 mai 2019 a été l’une des plus noires au Cameroun, quand le ciel de la ville balnéaire de Limbé était fendu par une lumière inhabituelle. Lumière émanant des flammes qui ravageaient les installations de l’une des plus anciennes sociétés parapubliques du pays, la Société nationale de raffinage en abrégé Sonara. L’image qui en est restée est celle des carcasses d’usine, des fourneaux encore debout mais jonchés des fils cramés par les flammes, de la ferraille entremêlée à de la cendre noire, de la désolation en somme présentant un décor de film de guerre ou d’un quartier de la ville de Damas, capitale de la Syrie qui a essuyé une guerre pendant près de 5 ans.
Force majeure
Le lendemain 1er juin 2019, le directeur général Jean Paul Simo Njonou rendait public un communiqué destiné à tous les partenaires de l’entreprise et ayant pour objet « déclaration de force majeure. » « Nous vous informons dit-il, de la survenance d’une explosion suivie d’un incendie grave dans nos unités de production le 31 mai 2019 aux environs de 21h30 minutes, entrainant des dégâts et un arrêt de production de toutes nos unités pour une période à déterminer. Par conséquent nous déclarons un cas de force majeure et la suspension provisoire de nos engagements contractuels, en attendant l’évaluation définitive des dégâts, nous vous informerons de la cessation de ce cas de force majeure en temps utile. »
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Cette lettre du directeur général, loin d’être une simple note d’information, est plutôt lourde de conséquence. Elle indique que les dégâts vont au-delà des pertes matérielles. D’après la revue en ligne l’expertcomptable.com, la force majeure est juridiquement dans ce cas plus étroite que la force majeure au sens commun. Elle explique qu’en droit, 3 caractéristiques permettent de l’identifier : l’événement doit avoir un caractère extérieur, imprévisible et irrésistible. L’absence de l’une de ces 3 caractéristiques fait tomber la notion de force majeure. Elle a pour principale conséquence d’exonérer une personne ou une entité de toute responsabilité mais elle peut aussi permettre de s’acquitter d’une procédure habituellement incontournable, comme c’est le cas avec la procédure de licenciement, qui peut désormais être contournée légalement par l’employeur en cas de force majeure.
Simplement dit, le cas de force majeure déclaré par le directeur général justifie les relations conflictuelles que la société aura désormais avec tous les partenaires extérieurs que sont les clients, les fournisseurs, les sous-traitants et autres. En interne il y aura les répercussions sur le traitement du personnel, sans compter des milliers d’emplois indirects qui gravitent toujours autour d’une entreprise de cette taille. Ces conséquences sont hélas une réalité économique, que le gouvernement tente pourtant de minimiser.
Politisation
Le ministre de l’Eau et de l’Energie Gaston Eloundou Essomba a effectué le 6 juin 2019 une visite sur ce qui reste des installations de la société de raffinage. Devant la réalité des faits, il a reconnu que « Si l’unité de dissociation qui est le cœur de la raffinerie est hors service, ça veut naturellement dire que tout le processus de raffinage est en arrêt. Mais la SONARA, dans sa diversification d’activités, va continuer à vivre ».
Dans l’état des lieux présenté par le Directeur Général Jean Paul SIMO NJONOU à cette occasion, il a relevé que 7 unités au total ont été touchées de manière irréversible. Parmi elles, l’unité 10 qui avait pour fonction le fractionnement du pétrole brut en coupes pétrolières à savoir les essences totales, le kérosène base, le gasoil léger, le gasoil lourd, le résidu atmosphérique, et L’Unité 100, unité de stockage des produits et du pétrole brut ; notamment le Bac A10 qui s’est envolé avec plus 10 000m3 de pétrole brut, le Bac B20, de stockage des essences légères et le Bac B30, de stockage de Kérosène de base, tous déformés par le souffle de l’explosion.
Malgré cette réalité, le ministre a tenu à rassurer le personnel sur ce qui les attend désormais. « Le Chef de l’Etat nous instruit de vous dire que la SONARA n’est pas fermée et que la SONARA ne va pas fermer ses portes. En d’autres termes, le personnels SONARA ne sera pas mis en chômage technique », a -t-il affirmé. Une fois de plus, les gouvernants amènent là les employés de l’entreprise sur un terrain politique, qui à des moments s’accommode mal avec des exigences concrètes de l’économie. C’est en produisant et en vendant que l’entreprise fait des chiffres, et a les moyens d’assurer les charges du personnel entre autres.
Activité principale à l’arrêt
A la création de la Sonara par décret présidentiel N° 73/135 du 24 Mars 1973, la mission qui lui était assignée était claire : exploiter une raffinerie de pétrole brut pour satisfaire les besoins du marché camerounais en produits finis, tels que le butane, l’essence, le pétrole lampant, le jet fuel, le gazole, le distillat et le fuel oil. Pendant longtemps, l’entreprise raffinait le pétrole brut acheté à l’extérieur, parce que disait-on ses installations n’étaient pas compatibles avec la qualité du pétrole brut produit au Cameroun. Mais depuis l’installation des nouvelles chaines de raffinerie dont le processus a commencé en 2010, la production a connu une croissance exponentielle, et pour optimiser l’utilisation de la capacité de raffinage, la SONARA s’est misa à la conquête de nouveaux marchés, et exportait déjà sa production au-delà de la zone CEMAC vers ceux de la côte ouest africaine, depuis le Sénégal jusqu’à la Namibie, et aussi vers l’Europe, les Etats-Unis et l’Amérique du Sud.
Le capital initial de l’entreprise qui avait 400 millions il y a 46 ans, était déjà de 19 milliards 562 millions, selon le site internet de l’entreprise. Mais elle vient d’être frappée au cœur du process de son activité principale, notamment le raffinage, d’après les propos même du Directeur général. Les travaux de réhabilitation devront durer 12 mois d’après les premières estimations, période pendant laquelle la Sonara devra se contenter d’acheter le pétrole raffiné à l’extérieur pour ravitailler le territoire. Un manque à gagner certain, qui obligera l’entreprise à revoir ses engagements, et c’est là tout le sens du cas de force majeure déclaré par le directeur général. Que de tenter de minimiser la situation, le gouvernement devrait la regarder froidement et prendre des mesures appropriées pour atténuer l’impact inévitable sur l’économie en général et sur la condition sociale des employés en particulier.
Roland TSAPI