À Douala 3ème, une soirée mémorielle organisée par la Bibliothèque Anlu autour du film “La véritable histoire du Cameroun” a rassemblé enseignants, parents et jeunes dans un élan de vérité. Un acte citoyen fort à l’orée des élections présidentielles.
À Douala on prend progressivement conscience de son histoire. Au quartier Oyack, on pense au devenir de son histoire, à partir des réalités et des fissures de la colonisation. Le 30 mai 2025, sous le décor du couchant, le “Petit terrain 2ème source” s’est mué en une agora de fortune. Ici, pas de pupitres dorés ni d’écrans géants. Seulement des bancs de fortune, un projecteur, et surtout, des visages, jeunes, tendus, curieux. Tous venus à la rencontre de leur propre mémoire. Dans cet espace ouvert où le vent soufflait par instants comme un vieux conteur, la Bibliothèque Anlu a convoqué l’histoire.
Le thème de la soirée, “Malentendu colonial”, n’était pas un simple effet de style. Il portait en lui le cri d’un peuple morcelé dans sa mémoire, amputé de ses récits, et contraint à l’oubli organisé. Le film projeté, La véritable histoire du Cameroun en a été l’aiguillon.
Une vigie culturelle
Le documentaire de 59 minutes d’intensité, a retracé les moments sombres et héroïques de l’histoire du Cameroun : colonisation allemande, mandat français, luttes nationalistes, assassinats politiques. Sur l’écran, les visages de Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié. Dans les regards des spectateurs, l’éveil douloureux d’un peuple qui comprend soudain que la mémoire est un champ de bataille. « On nous a appris les dates, jamais les douleurs », confie la gorge serrée, Sylvain, étudiant de niveau 1 Histoire à l’université de Douala.
Après la projection, un cercle de parole s’est formé, presque naturellement. Gertrude, femme d’un certain âge évoque la disparition de son oncle, « porté disparu » en 1959. Enseignant d’histoire dans un collège de Douala 3ème, Atemengue questionne la cohérence des programmes scolaires actuels. Ce qui pousse l’assistance, dans un tumulte, à réclamer, pas seulement dans les murmures, que “Nyobè entre dans les manuels scolaires.
Une tradition de l’engagement
Ce fut un moment d’épuration symbolique, de déverrouillage de la parole. Car l’histoire tue, blesse, mais l’histoire révélée, guérit. Et la Bibliothèque Anlu, en médiatrice lucide, a su créer un espace d’écoute où la mémoire ne divise plus, mais rassemble.
Née au cœur des périphéries urbaines, la Bibliothèque Anlu n’est pas un sanctuaire poussiéreux du savoir. Elle est une veillée d’armes. Sa mission ? Éveiller les consciences, éclairer les récits, transmettre les héritages. Ici, les livres sont vivants, les mots sont des tambours, les pages des palabres. À quelques mois des élections présidentielles de 2025, dans un climat où les fractures identitaires ressurgissent comme des lames de fond, Anlu incarne un contre-pouvoir intellectuel et communautaire. Par l’histoire, elle redonne aux jeunes les clés de leur propre narration, hors des sentiers tracés par les manuels officiels.
Cheikh Malcolm RADYKHAL d’EPANDA