Avec Des silences et des murmures, Maeva Guedjeu propose un recueil de 18 nouvelles (115 pages) dont la puissance narrative dément le titre feutré. Ici, les murmures ne chuchotent pas : ils crient, ils dénoncent, ils écrivent sans détour la douleur existentielle des femmes, héroïnes de prédilection de l’autrice, désenchantées, désillusionnées, souvent trahies par la figure masculine et par le mythe protecteur qu’elle incarne. Ce mythe, patiemment déconstruit au fil des récits, apparaît comme un masque de prédateur, dissimulant une masculinité irresponsable, lâche ou absente.
Maeva Guedjeu est une écrivaine camerounaise vivant au Canada. Son écriture, à la croisée des territoires et des mémoires, s’inscrit dans une démarche littéraire attentive aux voix marginales, aux fractures intimes et aux blessures sociales longtemps tues. Nourrie par l’expérience de la migration, par l’observation des rapports de genre et par une sensibilité aiguë aux injustices ordinaires, elle développe une prose épurée, directe, souvent sans concession. Des silences et des murmures s’impose comme une œuvre emblématique de son engagement littéraire : donner corps et langage à celles que l’histoire intime et collective relègue trop souvent au silence.
La femme, dans cet univers littéraire, se découvre fréquemment proie. Les figures de Messa ou de la fiancée de Moumi en offrent des incarnations saisissantes. Messa donne la vie au prix de la sienne, abandonnée de tous — et surtout de son partenaire — dans un drame où la maternité rime avec sacrifice absolu. La fiancée de Moumi, quant à elle, aura tout donné à son « prince charmant », finançant même son exil économique vers l’Occident, pour découvrir, seule et dépossédée, que celui-ci s’y marie avec une autre, laissant derrière lui promesses, illusions et loyauté trahie.
Mais réduire Des silences et des murmures à un simple catalogue de douleurs féminines serait une erreur. Maeva Guedjeu refuse de cantonner ses héroïnes à une posture strictement victimaire. Elle leur confère, au contraire, une carrure de résilience, d’abnégation et parfois d’héroïsme silencieux. L’épopée de Monkam en est l’illustration la plus éloquente : une trajectoire jalonnée de péripéties, où les compagnes, telle une sororité en meute, croisent le fer depuis leur Noso originel jusqu’à la traversée du désert — au sens propre comme au figuré — en direction de la Terre promise européenne. Ce parcours, semé d’épreuves, donne à voir une femme qui, malgré les fractures, se relève et avance.
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Incontestablement, Des silences et des Murmures s’impose comme un réquisitoire féministe implacable et intransigeant contre la masculinité irresponsable. Maeva Guedjeu s’inscrit pleinement dans l’air du temps en restaurant la femme dans une dignité longtemps piétinée par un patriarcat jouisseur, infantile et dominateur. Son écriture redonne à la femme une centralité morale et symbolique, faisant d’elle tour à tour prêtresse, autel et sacrifice.
C’est précisément là que le recueil appelle aussi la discussion critique. Cette entreprise de réhabilitation féminine s’opère sans toujours ménager la nuance. La sanctification de la femme semble parfois expéditive, tandis que le bourreau masculin est désigné sans appel, privé de toute possibilité de rédemption. Le mâle apparaît alors comme définitivement vaincu par une vertu victimaire devenue absolue.
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Or, vaincre la tyrannie masculine ne saurait consister à « tuer le malade » plutôt qu’à éradiquer la maladie. Amputer l’humanité de sa moitié virile ne peut conduire à l’avènement d’une féminité heureuse. Une telle logique risque au contraire d’aboutir à une superposition de frustrations, dissimulées sous l’illusion d’un confort individualiste entretenu par le discours dominant de la société capitaliste contemporaine.
La véritable mission de notre génération — et c’est peut-être en creux que le recueil la suggère — est celle de la réconciliation des genres, débarrassés de toute volonté de domination ou d’abus de confiance mutuelle. Une société où la maternité ne serait plus synonyme de fatalité, où le mariage ne rimerait plus avec sevrage de carrière ou d’autonomie pour la femme. Une société enfin où la femme, libérée, pourrait s’épanouir pleinement non pas derrière l’homme, mais à ses côtés, dans une complémentarité assumée de leurs humanités respectives.
Des silences et des murmures est ainsi un livre nécessaire, dérangeant, parfois excessif, mais profondément ancré dans les fractures de notre temps. Un recueil qui force l’écoute et impose le débat, rappelant que certaines vérités, même criées, continuent longtemps d’être ignorées.
Léonel AKOSSO






