Dans la nuit du 12 au 13 novembre 2024, des attaques terroristes de Boko Haram dans le village Ldamang, arrondissement de Mokolo, région de l’Extrême-Nord ont fait dix décès (soit sept hommes et trois femmes dont l’une enceinte de neuf mois) et huit blessés graves ; Au Sud-Ouest, le Sous-préfet d’Idabato, Ewane Roland, a été enlevé dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2024 par un groupe de terroristes lourdement armés. Les images de lui subissant des actes de torture ont fait le tour de la toile. Pareil pour l’agent communal, Etongo Ismael, dans le département du Ndian, région du Sud-Ouest, après leur enlèvement. Voilà quelques faits choquant qui mettent en péril la quiétude des Camerounais, et inquiètent au plus haut point la Commission des droits de l’Homme du Cameroun, Cdhc.
Dans un communiqué signé à propos, le 30 novembre 2024, le président de la Cdhc, Professeur James Mouangue Kobila, souligne également pour le dénoncer, les violences policières dont a été victime Me Tamfu Ngarka Tristel Richard, avocat au Barreau du Cameroun, le 27 novembre 2024 au moment de son interpellation par certains éléments du Groupement de gendarmerie territoriale de Douala. Autre fait grave qui relève aussi de l’action humaine, le chavirement le 28 novembre 2024, d’une pirogue à Darak, Département du Logone et Chari, dans la région de l’Extrême-Nord, qui a causé la mort de vingt-cinq personnes et la disparition d’une trentaine de personnes.
Face à tout ceci, La Commission recommande aux autorités étatiques « d’adopter de nouvelles stratégies holistiques et vigoureuses pour mettre fin aux exactions commises par le groupe terroriste Boko Haram, y compris le renforcement de la réponse sécuritaire au terrorisme en créant, autant que possible, de nouveaux postes militaires avancés, l’accroissement des effectifs dans les postes militaires existants et l’intensification de la sensibilisation des populations en vue d’une collaboration encore plus efficace et franche avec les autorités administratives, judiciaires ainsi qu’avec les Forces de défense et de sécurité. La Commission témoigne son sentiment d’étroite solidarité à la famille du Sous-préfet dont elle partage l’angoisse et les touchants espoirs ». Ci-dessous, le Communiqué du Président de la Commission des droits de l’Homme du Cameroun.
V.T.
COMMUNIQUÉ DE PRESSE RELATIF AUX ATTAQUES MEURTRIÈRES DE BOKO HARAM DANS LE VILLAGE LDAMANG, ARRONDISSEMENT DE MOKOLO, DÉPARTEMENT DU MAYO-TSANAGA ET DU CHAVIREMENT D’UNE PIROGUE À DARAK, DÉPARTEMENT DU LOGONE ET CHARI, RÉGION DE L’EXTRÊME-NORD ET AUX CAS DE TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS QUI DEFRAIENT
LA CHRONIQUE
Les 1er octobre, 13, 27 et 28 novembre 2024, la Commission des Droits de l’homme du Cameroun (ci-après : « la Commission » ou « la CDHC ») a pris connaissance, avec horreur et consternation à travers des images et vidéos parfois insoutenables publiées sur les réseaux sociaux (Facebook et WhatApp) :
- du chavirement, le 28 novembre 2024, d’une pirogue à Darak, Département du Logone et Chari, Région de l’Extrême-Nord, qui a causé la mort de vingt-cinq personnes et la disparition d’une trentaine de personnes ;
- des attaques terroristes de Boko Haram dans la nuit du 12 au 13 novembre 2024 dans le village Ldamang, Arrondissement de Mokolo, Département du Mayo-Tsanaga, Région de l’Extrême-Nord qui a fait dix décès (soit sept hommes et trois femmes dont l’une enceinte de neuf mois) et huit blessés graves ;
- des actes de torture perpétrés sur le Sous-préfet d’Idabato, Monsieur EWANE Roland, et sur un agent communal, Monsieur ETONGO Ismael, dans le Département du Ndian, Région du Sud-Ouest, après leur enlèvement dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2024 au domicile du premier par un groupe de terroristes lourdement armés, ainsi que
- des violences policières dont a été victime Me TAMFU NGARKA Tristel Richard, avocat au Barreau du Cameroun, le 27 novembre 2024 au moment de son interpellation par certains éléments du Groupement de gendarmerie territoriale de Douala,
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Pour ce qui est de l’accident fatal du chavirement d’une pirogue motorisée qui transportait des passagers de Darak pour le marché de Doro Liman le 29 novembre 2024, les premières informations recueillies sur le terrain par les services techniques compétents de la Commission font état de ce qu’il a fait périr vingt-cinq personnes et qu’une trentaine d’autres sont portées disparues. Seules trente-neuf personnes y ont survécu. Plusieurs facteurs seraient à l’origine de cet incident notamment :
- les conditions météorologiques défavorables ;
- la surcharge des pirogues ;
- le manque d’entretien des embarquements et
- l’inexpérience des navigants.
La conjugaison de ces facteurs dénotent les dangers de l’activité de transport fluvial dans la Région de l’Extrême-Nord où une importante frange de la population dépend de ce mode de transport pour leurs déplacements quotidiens.
La Commission prend acte du déploiement des équipes médicales et des secours militaires, sous la coordination des autorités administratives locales, en vue de retrouver aussi bien les survivants que les corps des disparus du naufrage de Darak.
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Concernant les attaques de Boko Haram, dans le cadre de l’exercice de ses prérogatives d’autosaisine aux fins de protection des Droits de l’homme conformément au 2e tiret de l’article 6 de la loi n° 2019/014 du 19 juillet 2019 qui la crée, l’organise et régit son fonctionnement, aux termes duquel
[l]a Commission contribue à la consolidation de l’État de droit et à la lutte contre l’impunité en matière de Droits de l’homme à travers, notamment […] l’autosaisine pour les faits portés à sa connaissance, qui sont de nature à constituer des violations graves, récurrentes ou systémiques des Droits de l’homme »
et sur le fondement de l’article 7 de la même loi qui dispose que, pour l’accomplissement de ses missions
la Commission peut […] procéder à des investigations dans le respect de la législation en vigueur notamment en :
- effectuant toutes descentes nécessaires ;
- accédant à tout lieu où des cas de violation de Droits de l’homme sont allégués ;
- recueillant toutes informations nécessaires,
La CDHC a mené des investigations à l’issue desquelles les informations recueillies auprès des autorités administratives et traditionnelles ainsi que des populations ont permis d’établir que les attaques répétées de Boko Haram dans certaines localités de la Région de l’Extrême-Nord du Cameroun et, plus précisément, celles survenues dans le village Ldamang, ont fait un bilan provisoire de dix-huit victimes dont dix décès (soit sept hommes et trois femmes dont une enceinte de neuf mois) et huit blessés graves, ainsi que de nombreux biens matériels emportés par les terroristes.
Les acteurs de terrain considèrent que de telles attaques sont favorisées par des causes profondes qui fragilisent et exposent les communautés aux attaques terroristes, parmi lesquelles :
- la proximité de la zone avec le Nigéria, épicentre de Boko Haram;
- la rareté des emplois et le manque d’esprit d’entreprenariat qui poussent un grand nombre de jeunes à rejoindre le groupe terroriste qui les attire par des promesses de ressources financières immédiates ou de protection.
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Pour ce qui est des cruelles tortures et des traitements inhumains et dégradants dont infligées au Sous-préfet d’Idabato et à l’agent communal par leurs bourreaux, de féroces pirates venus d’un état voisin, la Commission condamne énergiquement et marque son indignation face à cette bestialité.
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Quant aux actes de violence policière dont a été victime Me TAMFU NGARKA Tristel Richard, la CDHC déplore la persistance d’abus et de dérives liés à l’usage de la force par certains éléments des forces de maintien de l’ordre qui portent trop souvent atteinte aux Droits à la vie et [il n’est pas mort] à l’intégrité physique et morale des uns et des autres.
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Considérant le 12e tiret du Préambule de la Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996 qui énonce que « [t]oute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité » ;
Considérant en outre le 3e tiret du Préambule de la même Constitution d’après lequel « [l]a liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des Droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’État »,
Rappelant l’article 4 de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples qui stipule que « [l]a personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne » ;
Rappelant également le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (PIDCP) aux termes duquel « [l]e droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie »,
Ayant à l’esprit l’article 9 du même PIDCP qui stipule que « [t]out individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne »,
Ayant également à l’esprit l’article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme qui énonce que « [t]out individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne »,
Rappelant que la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples engageait déjà les États signataires à lutter contre les actes de torture en affirmant, dans son article 5, que
tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, ainsi que les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdits.
Prenant enfin en compte l’alinéa 2 de l’article 2 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, qui précise qu’« Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture »,
La Commission réitère les termes de la Résolution 1566 (2004) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies du 8 octobre 2004 qui « [c]ondamne avec la plus grande énergie tous les actes de terrorisme […] quels qu’en soient les motifs, où qu’ils soient commis, et quels qu’en soient les auteurs »,
La Commission est consternée par l’acharnement de Boko Haram à multiplier les attaques contre les populations civiles innocentes et désarmées dans la Région de l’Extrême-Nord.
La Commission salue le communiqué du Gouvernement signé le 22 novembre 2024 qui rassure l’opinion sur ce que « tout est mis en œuvre pour préserver la vie du Sous-préfet d’Idabato ainsi que son collaborateur, et obtenir un dénouement heureux de cette scabreuse et malheureuse affaire ».
La Commission salue également la prompte réaction du Secrétaire d’État à la défense chargée de la Gendarmerie nationale dont les instructions ont été répercutées par le Commandant de la légion de gendarmerie du Littoral, qui, par message porté du 27 novembre 2024, a ordonné l’ouverture d’une enquête dans l’affaire des violences policières dont a été victime Me TAMFU NGARKA Tristel Richard. Elle invite les pouvoirs publics à lui faire connaître les résultats de l’enquête en cours et les sanctions de tous ordres prises à l’encontre des agents dont les responsabilités auront été établies et à réparer intégralement le préjudice subi par cet homme de loi.
La Commission renouvelle son appel aux acteurs aussi bien nationaux, sous-régionaux, régionaux qu’universels, ainsi qu’aux partenaires bilatéraux et multilatéraux du Cameroun de redoubler d’efforts pour faciliter l’arrestation et la traduction en justice des commanditaires, auteurs, complices et autres soutiens des actes terroristes perpétrés sur le territoire national, quels qu’ils soient.
La Commission rappelle que les actes terroristes violent l’ensemble des Droits de l’homme, au nombre desquels figurent en particulier le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique et morale, le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à l’alimentation, le droit à la sécurité, le droit au logement, la liberté de mouvement, la liberté d’entreprendre des activités commerciales, le droit à la propriété, la liberté de pensée, la liberté d’expression, le droit à un procès équitable et les Droits de tous les groupes vulnérables, accentuant ainsi leur vulnérabilité.
La Commission condamne, une nouvelle fois et avec la plus grande fermeté, la barbarie terroriste à Ldamang et à Idabato que rien ne saurait justifier, partage dans ces instants extrêmes, l’atroce douleur des familles des victimes du terrorisme de Boko Haram, celle des familles des personnes décédées ou disparues à la suite du naufrage en leur transmettant les assurances de sa compassion émue, et souhaite un prompt et total rétablissement aux personnes blessées.
La Commission recommande aux autorités étatiques d’adopter de nouvelles stratégies holistiques et vigoureuses pour mettre fin aux exactions commises par le groupe terroriste Boko Haram, y compris le renforcement de la réponse sécuritaire au terrorisme en créant, autant que possible, de nouveaux postes militaires avancés, l’accroissement des effectifs dans les postes militaires existants et l’intensification de la sensibilisation des populations en vue d’une collaboration encore plus efficace et franche avec les autorités administratives, judiciaires ainsi qu’avec les Forces de défense et de sécurité (FDS).
La Commission témoigne son sentiment d’étroite solidarité à la famille du Sous-préfet dont elle partage l’angoisse et les touchants espoirs.
La Commission continue d’encourager les populations de l’Extrême-Nord, particulièrement celles de l’Arrondissement de Mokolo et les populations du Sud-Ouest, particulièrement celles de l’Arrondissement d’Idabato à collaborer étroitement avec les FDS pour la préservation de l’intégrité territoriale autant que pour la protection des personnes et des biens, afin que tous les suspects soient interpelés pour répondre de leurs actes devant les juridictions compétentes.
Fait à Yaoundé, le 30 novembre 2024
James MOUANGUE KOBILA