Après avoir été arrêtée avec deux de ces collègues suite au décès d’un nouveau-né à la clinique du Jourdain à Yaoundé, le Dr Djiwa Nzoupe Annie se confie, avec une émotion qui témoigne de la douleur et du traumatisme qu’elle vit. Devant l’indifférence de l’Ordre National des Médecins du Cameroun, Dr Djiwa Annie envoie ce qui sonne comme un ultime appel au secours, à toute personne revêtue d’humanité. Ci-dessous, sa lettre publiée par son époux.
C’était un dimanche matin,
En tant que mère de famille, je me suis rassurée que mon époux et mon fils de 7 ans aient à manger pour la journée. Je me suis ensuite rendue à mon lieu de service pour prendre mon tour de garde, car oui, en dépit de mon état de grossesse je devais malgré tout faire le boulot que j’aimais, même si le salaire était minable et du reste souvent épisodique.
C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que je suis arrivée à la clinique et j’ai pris connaissance des consignes des médecins qu’il était de mon devoir de faire appliquer. L’une d’elle était d’effectuer une ponction lombaire sur un nourrisson d’à peine un mois et demie pour étayer un diagnostic.
La maman du nourrisson était hésitante et je me devais de la convaincre du bien-fondé du geste à poser. Aurais-je dû lui faire signer un consentement éclairé ? Devrait-on désormais en faire signer à tous nos patients même pour des gestes basiques ? C’est à vous de juger. Toujours est-il que la ponction lombaire a effectivement été réalisée par un de mes collègues le plus expérimenté dans ce geste au sein de la clinique.
Malheureusement comme cela arrive très rarement, le nourrisson est décédé après le geste. Est-il décédé suite au geste ? Ya-t-il eu d’autre cause ? On ne le saura jamais car une autopsie n’a pas été pratiquée et le nourrisson enterré.
Alors que je m’occupais à sauver d’autres vies, j’ai été interpellée par des collègues après le constat du décès. Alors que j’essayais de consoler la mère du nourrisson, j’ai été injuriée, griffée, battue par les parents du nourrisson, menacée de mort et d’emprisonnement. Malgré les sévices subis j’essayais de les comprendre, étant moi-même enceinte. C’est alors que mes collègues ont dû faire appel à la police pour faire cesser le grabuge, notamment la destruction de biens matériels de la clinique.
Mais depuis cette nuit je n’ai plus jamais pu trouver le sommeil encore effectuer mon travail correctement. Traumatisée que j’étais, d’avoir été battue sur mon lieu de service alors que j’avais juré quelque mois plus tôt d’œuvrer pour donner la vie ; Ma santé mentale s’est aussi dégradée avec les multiples convocations dont j’ai fait l’objet à la suite de la plainte déposée par la famille du bébé. J’ai craqué et finalement j’ai également perdu mon bébé de 4 mois.
La clinique avait pourtant juré de nous protéger, mes collègues et moi, mais nous avons finalement été culpabilisés. C’est ainsi que j’ai été interpellée et gardée à vue, puis incarcérée alors même que je bénéficie d’un domicile connu, et que j’essayais de me remettre avec un nouveau job et une nouvelle grossesse.
Pourquoi tout ceci, n’ai-je pas assez payé ?
Pour cette médecine à qui j’ai consacré toute ma jeunesse, n’ai-je pas déjà assez donné ?
Du Fond de ma cellule j’en veux : A cette clinique qui me fait porter le chapeau ; À l’ordre des médecins désorganisé pour des egos personnels, qui n’a pas su me protéger car transparent ; À ceux de mes confrères éternels donneurs de leçons et qui continuent à mener leur existence tranquille alors qu’ils peuvent se retrouver à tout moment dans la même situation que moi, tandis que d’autres se battent bec et ongles pour ma libération ; A ceux de mes confrères qui viennent m’intimider en pleine cellule en me demandant d’appeler à l’arrêt des efforts des confrères déjà consentis pour ma libération ; À ces confrères aînés et encadreurs qui sont restés muets de peur de perdre leur strapontin, et ont tôt fait de me renvoyer la faute car estimant que » les jeunes de maintenant sont mal formés ».
Dois-je également en vouloir à mon choix d’avoir » épousé » la médecine ? L’avenir nous le dira certainement.
En attendant je pense à mon pauvre bébé qui risque de suivre le précédent ; A mon pauvre époux que j’ai abandonné depuis des jours.
Je suis Dr Djiwa Annie, je suis un pauvre jeune médecin martyrisé,
Et je tends la main pour qu’on me sorte de cet enfer.
Dr Aubin Nino Baleba
Pauvre jeune médecin camerounais
Texte publié avec l’accord de Mr POHA, époux de la victime
