Chef du canton Mogodé, situé dans le département du Mayo-Tsanaga dans la région l’Extrême-Nord du Cameroun, Sa Majesté Aboubakar Faycal lève un pan de voile sur le phénomène de la sous-scolarisation de la jeune fille dans la partie septentrionale du Cameroun.
Qu’est ce qui est à l’origine de la sous-scolarisation de la jeune fille dans la région de l’Extrême-Nord?
La sous-scolarisation de la jeune fille est la conséquence de plusieurs éléments. En effet, pour une bonne franche de la population, la pauvreté est une cause de la sous scolarisation de la jeune fille. Les parents sont contraints à faire le choix entre scolariser leurs enfants de sexe masculin et ceux de sexe féminin. Pourtant, selon la conception classique, les filles sont appelés à se marier et ses richesses reviendront de facto à leurs époux ou aux familles de ce dernier. Par contre, en misant beaucoup plus sur les garçons, les parents auront un retour sur investissement, la richesse reviendra en famille et la relève sera ainsi assurée.
En outre, toujours selon cette conception classique, la place de la jeune fille se trouve dans son foyer et non dans les salles de classe. Elles doivent être des épouses exemplaires non seulement pour son mari et sa belle-famille, mais aussi et surtout pour ses propres parents. Car, être une bonne épouse ferait un grand honneur à ses parents. En ma qualité de chef traditionnel et gardien des traditions, je m’inscris en faux contre cette vision des choses que nous considérons archaïques et rétrogrades.
Quelles est la situation actuelle de la sous scolarisation de la jeune fille ?
Actuellement, grâce à la politique mise sur pieds par les pouvoirs publics sous la bienveillante conduite de notre illustre chef de l’Etat et aussi avec la sensibilisation que nous menons sur le terrain, nous pensons que nous engrangeons quelques avancées. Les parents ayant pris conscience des effets néfastes et de la sous scolarisation de la jeune fille et des avantages que leur éducation et leur scolarisation procurent à notre société, cette politique a trouvé un écho favorable et nous ne n’entendons pas nous arrêter en si bon chemin tant que cette situation existera.
Quel rôle peut jouer les autorités administratives et traditionnelles pour endiguer ce phénomène ?
Les autorités traditionnelles jouent un grand rôle pour endiguer ce phénomène qui nous freine en termes de développement. Tout d’abord en tant que auxiliaire de l’administration, nous jouons un rôle de relayeur en menant des sensibilisations aux côtés de L’Etat à travers ses représentants. Nous encadrons la population du mieux que nous pouvons en leur rappelant la politique du respect du genre surtout dans le domaine éducatif. En notre qualité de guide spirituel et gardien des traditions, de concert avec les élites de sa localité, le chef traditionnel rééduque sa population sur la non dissociation de la tradition avec la modernité que nous offre l’éducation et la scolarisation de la jeune fille. Nous ne négligeons pas le volet de la prière également afin que nos localités puissent émerger avec la participation active de tous ses fils et surtout ses filles.
Quelles sont les conséquences de la sous scolarisation de la jeune fille dans la société ?
Les conséquences sont de plusieurs ordres dans notre société. Sur le plan social, nous aurons une société fortement patriarcale où les femmes seront réduites au second rang et n’auront pas de la considération dans la prise de décision. Elles n’auront plus une personne à même de défendre leurs intérêts et qui soit plus proches d’elles. Au plan politique, nous aurons moins de femmes sur cette scène surtout au moment où notre droit applicable et notamment la constitution promeut l’égalité entre les hommes et femmes et surtout au moment où le président de la République garantit cette égalité. Encore au moment où l’idéologie « more women in politics » est vigoureusement défendue par les femmes et même par les hommes à l’instar du chef de L’Etat.
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Comment peut-on sortir de ce phénomène ?
Pour sortir de ce phénomène, nous pensons que les efforts doivent être conjugués. L’Etat doit accentuer son intervention sur le terrain soit en légiférant des textes plus lourds en termes de sanctions contre ceux qui iront à l’encontre de cette loi, soit en mettant des moyens notamment en construisant plus des écoles même dans les zones reculées pour pouvoir encourager les parents à envoyer les enfants à l’école, mieux encore, rendre gratuite la scolarisation de la jeune fille ne serait-ce qu’au niveau du primaire ou tout au plus jusqu’à l’obtention du Brevet d’Etude du Premier Cycle (BEPC). Quant aux parents, ils doivent être sensibilisés davantage et donner la même chance à tous ses enfants, fussent-ils de sexe féminin.
La société elle aussi doit avoir un autre regard sur la femme. Parce que dans cette partie du pays, une femme qui pousse les études un peu plus loin est mal regardée et elle est considérée comme une « rebelle » et elle veut défier l’orthodoxie classique avec laquelle ces derniers ont grandi. Pourtant, l’éducation de la jeune fille est l’une des batailles que nous devons remporter pour un développement inclusif de notre région et partant de là, notre pays car comme le dit Nelson Mandela « l’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde » et à nous d’ajouter qu’éduquer une jeune fille c’est éduquer toute une nation.
Anicet MAPOUT à l’Extrême-Nord du Cameroun