La campagne électorale est encore loin, mais les batailles politiques entre partis font déjà leur chemin sur le terrain, mettant en cause une fois de plus l’incapacité des Camerounais à pratiquer la démocratie, dont la tolérance est l’un des principaux critères.
La campagne électorale n’a pas encore commencé, mais les batailles de toutes natures sont déjà observées sur le terrain. Les violences politiques prennent déjà corps, quittant des échanges verbaux et épistolaires pour emprunter la forme des actes de vandalisme et autres provocations. Dans un contexte démocratique, on se serait attendu à ce que ce combat se fasse à la loyale, dans le strict respect des règles fixés par les textes, respectées par tous. Mais l’on assiste à des coups bas, les coups en dessous de la ceinture et les tacles par derrière. Sur les réseaux sociaux ont lit de tout. Les fans des différents partis s’entredéchirent. Le samedi 14 juillet, l’un des rounds de cette bataille s’est déporté sur le sol de Maroua, capitale régionale de l’Extrême Nord. Les tenues du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) de Maurice Kamto ont été déchirées et brûlées publiquement, en présence du président de l’Assemblée nationale Cavaye Yeguie Djibril et de 4 membres du gouvernement.
D’après les média, c’était au cours d’un meeting du Rdpc au pouvoir, organisé par Cavaye Yeguié Djibril en sa qualité de Chef de la délégation permanente régionale du comité central du Rdpc pour l’Extrême-Nord. Le meeting avait pour but de faire démissionner des jeunes du Mrc pour les amener à rejoindre le Rdpc. Et c’est cette démission qui était ainsi concrétisée, en déchirant publiquement les T. Shirts aux effigies d’un parti pour y mettre du feu. Le président de l’Assemblée nationale a d’ailleurs confirmé les faits dans le journal le jour, édition de lundi 16 juillet, en ces termes : « nos enfants sont de retour, depuis des mois ils me demandent de venir les accueillir de nouveau dans le Rdpc. Le seul vrai parti avec un guide éclairé, j’ai nommé son excellence Paul Biya. Les habits du parti du Rdpc sont aussi souvent brûlés de la sorte », fin de citation. Bien entendu le Mrc n’a pas digéré cela, le parti a publié dans son site internet un communiqué dans lequel on peut lire et je cite « À travers cet acte dont la signification politique est très grave, un acte de surcroit prémédité et minutieusement préparé publiquement, et pour lequel le MRC a alerté de très hauts responsables de l’État par un moyen laissant trace, sans malheureusement qu’aucune mesure ne soit prise pour l’éviter, le régime de M. Biya et le Rdpc viennent de laisser tomber très tôt leur masque », fin de citation.
Actes de vandalisme
On est là en plein dans ce que le professeur des universités, Joseph Marie Zambo Belinga appelle «la scénographie de la violence dans les scrutins électoraux. » Il fait état dans le paysage politique camerounais des comportements électoraux, qui favorisent, entre autres, fraudes, manipulations des résultats des scrutins, pressions multiples sur les électeurs et canalisation de la souveraineté du peuple, corruption, parti pris des pouvoirs publics en faveur du parti au pouvoir. Et ce sont les pouvoirs publics qui sont ici mis en cause. Quand le président de l’Assemblé nationale justifie des actes de vandalisme de cette nature, il adopte un comportement proche de ceux qui, au plus fort des villes mortes dans les années 90, mettaient le feu aux maisons et véhicules des Camerounais soupçonnées d’appartenir au Rdpc. C’est ce que l’auteur cité plus haut appelle aussi « la débauche de la pratique électorale. »
En l’an 2000, Antoine Socpa, dans un article intitulé « Les dons dans le jeu électoral au Cameroun » publié dans Cahiers d’Études africaines, revenait sur la question de la liberté de l’électeur que les entrepreneurs politiques décident de noyauter en période de campagne électorale en lui offrant des dons dans le souci de marchander son suffrage. Et plus souvent les dons ne suffisent pas, puisque les politiques vont plus loin en procédant aux intimidations. C’est ce qui s’est passé à Maroua le 14 juillet, où les cadres du Mrc rapportent que les jeunes ont été sommés de croire au Rdpc seul, et se défaire de tous objets renvoyant à un autre parti, lesquels objets ne méritaient autre chose que le feu.
On peut encore tolérer que ce genre d’actes soient posés par des jeunes fanatiques sans discernement, mais quand cela se fait sous le regard approbateur de la troisième personnalité de l’Etat d’un pays, cela pose quand même un problème de conscience politique, et tend à donner raison à cet homme politique français qui disait au début des années 90 que l’Afrique n’est pas encore mûre pour la démocratie. Même comme on ne cesse de nous dire qu’au Cameroun on est déjà en démocratie avancée.
Roland TSAPI