Le marché Congo à Douala a encore brûlé dans la nuit du 23 au 24 février 2019. Encore, parce que le phénomène des incendies dans les marchés est devenu banal, pour ne pas dire normal. Cela n’étonne plus personne, parce qu’en réalité toutes les conditions sont réunies pour que le sinistre arrive fréquemment, et au sortir d’un incendie l’on réinstalle les mêmes habitudes qui ont provoqué la précédente.
D’après les études en sécurité incendie, les sources d’inflammation sont de trois ordres : énergétiques, humaines et naturelles. Pour les causes énergétiques l’on parle des sources thermiques comme les surfaces chaudes, les appareils de chauffage, les flammes nues, des travaux par point chaud, et des sources électriques comme les étincelles, les échauffements dus à la vétusté, la non-conformité des installations ou les surcharges électriques. Les causes humaines font allusion à la cigarette, la négligence ou la malveillance. Les causes naturelles quant à elle font référence notamment à la foudre et au soleil. Mais la survenance de ces incendies dans les marchés, toujours la nuit et aux heures avancées, élimine de fait les causes humaines et naturelles pour ne retenir que la source énergétique. Raison pour laquelle, en excluant une main criminelle, le coupable désigné est toujours le branchement électrique.
Court-circuit électrique, la cause désignée
Pour confirmer cela, des enquêtes ont toujours été ouvertes pour déterminer la cause exacte après un incendie. Mais comme de coutume au Cameroun ces enquêtes sont souvent limitées aux effets d’annonce. Difficile de savoir qui fait partie de la commission d’enquête et le temps qu’elle dispose pour livrer ses conclusions. En attendant, cette fois-ci encore, la thèse d’un court-circuit consécutif aux installations électriques anarchiques observées dans ce marché et dans l’ensemble des espaces commerciaux populaires du pays, est de nouveau avancée. Ce qui est constant ici, c’est que tous sont unanimes que ces installations anarchiques sont pour beaucoup dans ces incendies à répétition. La question est donc de savoir pourquoi le problème n’est pas réglé, puisqu’on le connait ? Qu’est ce qui empêche les services compétents, que ce soit la Communauté urbaine ou l’entreprise distributrice de l’énergie électrique, de veiller à ce que les installations ne soient plus anarchiques ? Il faut simplement observer qu’il y a un manque d’anticipation.
Le matériel aussi, mais d’où vient-il ?

Dans la foulée, les branchements électriques ne sont pas seuls pointés du doigt, il y a le matériel même de branchement. L’on a souvent entendu que ce matériel était de la contrefaçon en majorité, ne répondant à aucune norme. Soit. Mais où le prend-on, si ce n’est sur le marché camerounais ? Et s’il se trouve sur le marché, cela veut dire que quelqu’un a autorisé son entrée par les frontières, ou aux sortir d’usine pour ce qui est fabriqué localement. Et laisser le matériel être sur le marché, c’est valider qu’il répond aux normes et qu’il peut être utilisé sans risque. Qui a donc donné les autorisations, pour qu’après l’on accuse ce matériel d’être de mauvaise qualité ? Là une fois de plus on est devant un problème connu, mais pour lequel on n’anticipe pas.
L’eau aussi et l’éternel pénurie
Un autre problème connu à l’avance, c’est celui de la pénurie d’eau dans les bouches d’incendies. Une fois les flammes déclenchées, elles font des ravages rapidement, malgré la présence des sapeurs-pompiers, et pour cause. Après un autre incendie du même marché le 9 mai 2010, le journal Le Messager dans son édition du lendemain rapportait qu’une fois arrivés sur les lieux une demi-heure après le début de l’incendie, les éléments du lieutenant-colonel Oyono Nlend, le commandant de la compagnie des sapeurs-pompiers se sont avérés impuissants face à la rage des flammes. «Il n’y a pas d’eau et sans elle, on ne peut pas intervenir», avait lancé l’un d’eux au reporter. C’est une quarantaine de minutes plus tard que débutera l’opération de sauvetage, alors que les flammes avaient tout le temps de s’attaquer à l’autre façade de ce marché. Finalement c’est l’intervention de la voiture anti émeutes du Groupement mobile d’intervention (GMI)-Littoral qui finira par briser la progression des flammes, jusqu’à l’extinction totale. 10 ans après, le dimanche 24 février 2019, l’intervention des soldats du feu a encore été freinée par l’absence d’eau.
Installations provisoirement définitives
De même, après le plus grave incendie de ce marché Congo qui remonte à la nuit du 3 au 4 juillet 2012, au cours duquel environ 600 commerces avaient été consumés par les flammes, induisant des pertes de marchandises estimées à plus d’un milliard de francs Cfa, la Communauté urbaine de Douala avait décidé de recaser les commerçants dans des baraques à la Rue Pariso, qui devait être fermée à la circulation. A cette époque, le président de l’Association des commerçants du marché Congo Nsangou Mama, s’était confié au journal Le Jour en ces termes : «Nous souhaitons que la lumière soit faite sur le dossier de la reconstruction du marché Congo en espace moderne. C’est bien de procéder au recasement, mais si cela se fait toujours dans du provisoire, on ne sera pas loin d’un autre incendie.»
Et c’est ce qui est arrivé. Les dégâts ont été une fois de plus importants cette fois à causes de ces installations provisoires, devenues définitives. Le gouverneur de la région du Littoral Dieudonné Ivaha Diboua a lui-même relevé la difficulté en ces termes: «Il fallait déplacer des planches et casser certains étals pour faire circuler les camions qui ne pouvaient pas tous intervenir à la fois. Il fallait qu’ils interviennent à la chaine, les uns après les autres. Or si ça avait été de manière groupée, le feu aurait été vite circonscrit. »
Les problèmes à l’origine du déclenchement des incendies dans les marchés et de l’embrasement des flammes sont donc connus depuis des années, mais aucune solution sérieusement envisagée. Dans l’attentisme érigé en mode de gestion, on attend que le feu déclenche, fasse des ravages pour venir par la suite exprimer la sympathie et la magnanimité du chef de l’Etat. Bien conscient que cela ne ramènera jamais les marchandises perdues, ne réparera pas le préjudice subi, cela n’effacera jamais les dettes contractées dans les banques, les micro finances ou les réunions de cotisations.
Il est pourtant bien connu de tous que gouverner, c’est prévoir.
Roland TSAPI