D’après les récentes déclarations du président de la République devant ses ministres réunis en conseil, les élections régionales auront bel et bien lieu cette année. A la différence des autres élections dont on peut situer la date dans une période de l’année du fait de leur répétitivité, la date des régionales dépend pour cette première fois de la discrétion du chef de l’Etat. Comme le précise l’article 3 de la loi n° 2006/004 du 14 juillet 2006, les conseillers régionaux sont constitués des délégués des départements élus au suffrage universel indirect, et des représentants du commandement traditionnel élus par leurs pairs. Au terme de l’article 17 de la même loi, les délégués des départements sont élus par un collège électoral composé des conseillers municipaux, tandis que les représentants du commandement traditionnel sont élus par un collège électoral composé des chefs traditionnels de 1er, 2ème et 3ème degré autochtones dont la désignation a été homologuée, conformément à la réglementation en vigueur. Lire aussi :Décentralisation : le défi des élections régionales (1)
Des conseillers municipaux tout puissants ?
Ce sont donc les conseillers municipaux qui vont élire une partie des conseillers régionaux. La particularité ici c’est que les élections municipales sont aussi prévues pour cette année, et tout va se jouer au niveau des dates. Suite à la prorogation l’année dernière pour 12 mois, et au regard des dispositions légales, le mandat des conseillers municipaux s’achève le 15 octobre 2019, et l’élection pour les nouveaux devrait avoir lieu le 26 septembre 2019, c’est-à-dire 20 jours au plus tard avant l’expiration du mandat, d’après l’article 169 alinéa 3 du Code électoral. Si les élections des conseillers régionaux sont conduites avant cette date, cela voudra dire que ce sont les Conseillers municipaux de la mandature actuelle qui vont lés élire. On se rappelle que ce sont les mêmes conseillers qui avaient déjà élu en mars 2018 les sénateurs dont le mandat court actuellement. On se retrouvera alors avec des conseillers régionaux et des sénateurs élus par les mêmes conseillers municipaux. Ce scénario, qui sera une entorse à une véritable démocratie peut pourtant bien être envisagé au regard des enjeux politiques.
Garder le contrôle
La majorité des conseillers municipaux sont actuellement du parti au pouvoir, qui ne néglige aucune méthode pour être sûr d’être au contrôle de toutes les institutions. Les experts des officines du Rdpc peuvent bien convaincre le président Biya d’adopter cette stratégie. Ce qui leur permettra d’avoir également la main mise sur les conseils régionaux, en plus de disposer déjà de la majorité des conseillers municipaux et d’avoir une majorité obèse à l’Assemblée nationale et au Senat, perpétuation du règne sans partage déjà en vigueur. En plus, du moment où ces conseillers municipaux devront être renouvelés immédiatement après, on se retrouvera quelques mois plus tard dans une configuration où les nouveaux élus des mairies ne se reconnaîtront pas en les conseillers régionaux, les deux institutions étant pourtant appelées à accorder leurs violons autour d’une même politique pour le développement harmonieux des régions.
Le risque à ne pas prendre
L’autre hypothèse, qui semblerait la plus transparente, serait de convoquer le corps électoral pour les élections municipales, avant de procéder par la suite à l’élection des Conseillers régionaux. On aura dans ce cas de figure, des conseillers municipaux renouvelés, qui constitueront le collège électoral pour les Conseillers régionaux. Mais même si elle semble être la meilleure option à adopter, cette hypothèse présente un danger politique pour le parti au pouvoir. Le risque sera qu’avec l’opposition qui gagne de plus en plus de terrain, avec l’engouement constatée des jeunes lors de la dernière échéance électorale présidentielle, lesquels jeunes sont désormais déterminés à aller à l’assaut des mairies, le vent ne tourne en défaveur du Rdpc.
Les communes pourraient alors basculer dans l’opposition, et par voie de conséquence les Régions, ce qui préparerait la voie pour la prise du Sénat plus tard, sans oublier le fait que même l’Assemblée nationale pourrait aussi être perdue. Entre temps, suite aux élections législatives normalement prévues aussi cette année. Dans un contexte où les calculs politiciens priment sur les calculs politiques, où la préservation des acquis emporte sur les projections démocratiques mettant en avant in fine le bien-être des populations, il n’est pas exclu que les choix des dates de ces élections ne soit guidé par la logique de maintenir au bas de l’échelle des institutions qui permettrait au président de la République de mener la barque en toute quiétude.
Pour le moment il dispose encore de toutes les cartes entre ses mains. Il est maitre du temps, sans oublier qu’il contrôle également la machine électorale de bout en bout, les organes en charge du processus lui restant tout aussi acquis. Mais au-delà des calculs, l’on devrait garder à l’esprit que le vrai enjeu des élections régionales n’est autre que le renforcement du processus de décentralisation, qui se présente aujourd’hui comme le compromis politique incontournable, le plus en mesure d’atténuer les revendications qui dans certaines parties du pays ont pris d’autres tournures et risquent de transformer le pays en une vaste cathédrale de haine.
Roland TSAPI